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Quatre questions pour comprendre le projet fou de créations d'îles artificielles en Polynésie

Pour le Seasteading Institute, cet ambitieux projet, démarré en 2008, a pour objectif de lutter contre la montée des eaux. Mais c'est aussi un moyen de créer des sites où les règles des gouvernements, notamment fiscales, ne seront pas appliquées.

Article rédigé par franceinfo - Geoffrey Lopes
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Projet "DeltaSync Octopus City". (The Seasteading Institute)

La possibilité d'une île flottante. Le gouvernement polynésien a organisé à la mi-mai, avec la société californienne Seasteading Institute, un séminaire pour dévoiler un projet fou d'édifier des îles artificielles à Tahiti d’ici à deux ans. 

Fondée en 2008 dans la Silicon Valley par des entrepreneurs fortunés, l’entreprise a mis le cap sur la mer pour tenter de faire tomber ce qu’ils considèrent comme la "dernières frontières de l’humanité". Pour le Seasteading Institute, cet ambitieux projet, démarré en 2008, a pour objectif de lutter contre la montée des eaux. De quoi convaincre le gouvernement polynésien, qui a signé en janvier un protocole d’entente avec le Seasteading Institute. Franceinfo revient en quatre questions sur ce projet d'îles artificielles, qui pourraient aussi permettre aux libertariens d'accomplir un vieux rêve. 

Pourquoi un groupe californien veut construire des îles en Polynésie ?

Les partisans des îles flottantes, rassemblés dans le Seasteading Institute, mettent en avant deux objectifs. Ils estiment, d'abord, que les systèmes actuels de gouvernements sont "incapables de s’adapter aux sociétés technologiques", rappelle Le Monde. Il faut démanteler "le monopole géographique de la gouvernance" et mettre les Etats en concurrence pour attirer les citoyens, plaide Patri Friedman, le cofondateur de l’institut, qui revendique l’héritage intellectuel de son grand-père, l’économiste ultralibéral Milton Friedman.

Financée notamment par le fondateur de Paypal Peter Thiel, le Seasteading Institute est, en effet, perçu comme un conglomérat de riches libertariens qui souhaitent s’exonérer de la pression fiscale et, parfois, des règles établies par les Etats. Sur son site (en anglais), Patri Friedman affiche la couleur. 

Après avoir étudié les aspects économiques et pratiques à la base des Nations, je me suis dit qu’avoir l’océan pour seule frontière de l’humanité serait la meilleure façon d’arriver à de meilleurs gouvernements.

Patri Friedman, cofondateur du Seasteading Institute

sur le site de l'institut

Un bon moyen aussi de créer une zone économique spéciale, propice à l’investissement étranger.

L'autre objectif mis en avant par le Seasteading Institute est la lutte contre la montée des eaux. Les îles artificielles permettraient ainsi de reloger les réfugiés climatiques. Une problématique d'actualité pour Papeete : 30% de la superficie polynésienne se trouve aujourd’hui au niveau de la mer et risque de disparaître sous l’effet de la montée des eaux d’ici quelques dizaines d’années, explique à franceinfo Jacques Rougerie, architecte spécialiste des milieux marins à l’Institut de France.

"Les effets du changement climatique ne sont pas, pour nous, une vue de l’esprit ou un futur hypothétique, c’est une réalité à laquelle notre gouvernement doit dès à présent faire face", assure à franceinfo Jean-Christophe Bouissou, porte-parole du gouvernement polynésien. Le Seasteading Institute, qui avait étudié d’autres sites, des Maldives aux îles Marshall ou au Honduras, a fini par choisir la Polynésie pour des raisons pratiques : le site est à huit heures de vol de Los Angeles et est épargné par les cyclones et les tsunamis. Sans oublier que des connexions à haut débit, grâce à un câble sous-marin relié à Hawaï, sont disponibles.

A quoi doivent-elles ressembler ?

Le projet pilote porte sur trois plates-formes de 2 500 m2, qui hébergeront quelque 200 habitants, des magasins et des bureaux à l’horizon 2020, avance Le Monde.  Mais de nombreuses zones de flou persistent. Le choix du matériau de construction reste en suspens, la superficie finale et le lieu de la construction ne font pas consensus.

Le projet part de zéro, ou presque, confie Jacques Rougerie. "Je pensais que les discussions étaient plus concrètes et je m’attendais à voir un projet architectural défini. Mais on est encore dans une démarche politique et commerciale. Le Seasteading Institute nous a montré une esquisse qui ne correspondait pas du tout à leur projet de départ." Il est vrai que lorsque le projet a été annoncé, en 2008, l'institut voyait les choses en plus grand, avec une installation à 200 milles nautiques des côtes de San Francisco.

Le Seasteading Institute tient toutefois à préciser qu'il exige que ces plates-formes flottantes, interconnectées entre elles, produisent de l’énergie pour devenir autonomes et ne rejettent aucun déchet. L’ONG californienne veut y développer "l’aquaculture, l’agriculture verticale, les recherches en science et ingénierie écologique, l’énergie marémotrice, la médecine, les nanotechnologies..." 

Le projet est-il réaliste ?

Edouard Fritch, président de la Polynésie française et Marc Collins, ambassadeur du Seasteading institute en Polynésie, ont signé le 13 janvier un protocole d’entente. L’accord prévoit que les signataires "mettent en commun leurs efforts, en vue de la réalisation d’un projet pilote d’îles flottantes en Polynésie française". Pour le moment, le coût des études à mener dans l’année est de l’ordre d'environ deux millions de dollars et la construction ultérieure d’un prototype flottant de 7 500 m2 (la taille de la zone terrestre requise n’est pas encore définie) est estimée par le Seasteading Institute à 50 millions de dollars, avance La Dépêche de Tahiti. 

Le projet "Swimming City".
 (The Seasteading Institute)

Jean-Christophe Bouissou, porte-parole du gouvernement polynésien, assure à franceinfo que le protocole d'entente n'est pas un engagement contraignant pour l’archipel. "L’accord permet de mener des études de faisabilité, des expertises environnementales et des études d’impact économique. Il n’y a aucun engagement financier de la Polynésie française." Dans son article 7, le texte précise d’ailleurs que "ce protocole d’entente n’établit aucune obligation légale entre les parties" et que chacune d’entre elles "peut le résilier à tout moment".

Autrement dit, si le Seasteading Institute semble pressé, les autorités polynésiennes ne se mouillent pas et n’espèrent pas de miracles. "Avant d’arriver au projet final de la construction des îles flottantes, un grand nombre de paramètres doivent être pris en compte et analysés sous l’angle de l’économie d’énergie, du recyclage, de la réduction des déchets, etc.", confirme le porte-parole du gouvernement à FranceInfo.

Mais Jacques Rougerie reste confiant quant à la concrétisation du projet : "Construire ces îles d’ici à 2019, pourquoi pas. A partir du moment où l'on a l’argent, tout est possible. Les technologies existent, ils leur reste juste des solutions à trouver pour que les îles ne gaspillent pas d’énergie", pointe-t-il. 

Comment ces îles sont-elles accueillies en Polynésie ?

Si le Seasteading Institute et Edouard Fritch, président de la Polynésie française, semblent emballés par le projet, sur les îles, les habitants ne s’enthousiasment guère. Cécile Gaspar, docteur vétérinaire en écologie marine, ne cache pas son scepticisme. "Pour l’instant, ce projet n‘est pas encore assez clair pour que nous puissions le comprendre et la population polynésienne semble très critique", confie-t-elle à franceinfo. 

Jacques Rougerie partage cet avis : "Je ne cerne pas le projet de Seasteading. Je n’ai pas l’impression qu’ils aient saisi la complexité de la Polynésie. L’île flottante ne s’adapte pas à tous les cas de figures et chaque zone géographique a ses propres problèmes économiques, culturels, humaines et environnementales."

Jacques Rougerie s’inquiète des "communautés fermées" qu’envisagerait de créer Seasteading. "L'ONG doit également respecter le patrimoine architectural de l’archipel et préférer des constructions biomimétiques qui s’intègrent à la culture polynésienne." Il conclut en déplorant que "les réponses ne nous ont pas été apportées."

Conscient de ces réserves, le Seasteading Institute cherche désormais à convaincre de façon plus large. Il prévoit ainsi d’organiser cette année, sur deux ou trois jours, la première conférence internationale sur les îles flottantes, annonce Marc Collins.

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