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Pourquoi l'expédition russe en Antarctique fait grincer des dents

Les secours déployés pour venir en aide à une expédition pseudo-scientifique sont périlleux, coûteux et pénalisent d'autres missions scientifiques.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le navire russe dans les glaces de l'Antarctique, le 27 décembre 2013. (ANDREW PEACOCK / FOOTLOOSEFOTOGRAPHY.COM / AFP)

Qu'aurait pensé l'explorateur australien Sir Douglas Mawson du vaudeville qui se joue dans les glaces de l'Antarctique ? Un navire russe parti reproduire le trajet de son expédition (1911-1914) se trouve pris dans les glaces. Il a fallu l'intervention de navires australiens, chinois et français pour tirer les passagers du guépier.

Plus ennuyeux, samedi 4 janvier, le brise-glace chinois ayant porté secours au Akademik Chokalskiï s'est trouvé à son tour prisonnier de la banquise. Un nouveau brise-glace américain à mis le cap sur l'Antarctique pour se porter à la rescousse des deux navires. Certains commencent à montrer des signes d'agacement devant ce fiasco...

Francetv info vous explique pourquoi cette saga dans le grand froid fait grincer des dents.

Parce que le sauvetage est périlleux

Lorsque l'Akademik-Shokalskiy, un navire russe cabossé et rouillé, appareille, la saison est favorable : en Antarctique, l'été austral a rendu la route praticable. A bord, des journalistes, des touristes et des scientifiques, sans compter l'équipage. A la tête de l'expédition, le climatologue Chris Turney.

Mais l'Antarctique reste une zone périlleuse. En approchant le continent glacé, le navire se trouve poussé vers les glaces par une tempête, avant de s'immobiliser à environ 185 kilomètres de la base française Dumont-d'Urville.

Dans cette région hostile, venir en aide à un autre navire pris dans les glaces demande toute une logistique. Plusieurs navires croisant dans la région sont réquisitionnés. Côté français, l'Astrolabe est mobilisé une semaine en bordure de la banquise. Mais ce n'est pas un brise glace et il ne peut pas pénétrer plus avant. Le sauvetage sera sino-australien. Le Xue-Long (Dragon des glaces) et l'Aurora-Australis évacuent les 52 passagers australiens, britanniques et néo-zélandais. Le Xue-Long envoie son hélicoptère qui devra effectuer cinq rotations pour secourir les passagers - l'équipage est resté à bord. 

Une opération à haut risque que les autorités concernées ont peu goûté. Les conditions sont périlleuses, les glaces, poussées par les vents et les courants se déplacent très rapidement.

"Il ne faudrait pas que ce soit trop souvent aussi loin", a expliqué vendredi John Young, directeur général de l'Autorité australienne de secours en mer (Amsa).Toutes les opérations (de sauvetage) en Antarctique sont délicates à cause de la nature du milieu et dans ce cas particulier en raison du mouvement de la glace et des conditions météo changeantes", ajoute-t-il pudiquement, masquant mal son agacement.

Parce qu'ils se sont montrés désinvoltes

D'autant plus qu'en face, les membres de l'expédition - pour certains très loins d'être des explorateurs chevronnés bloqués ne semblent pas vraiment prendre la mesure du problème, contents de se comparer à de vrais  explorateurs.

 

A bord, l'ambiance est d'ailleurs plutôt festive. Le chef de l'expédition, Chris Turney, partage, sur Twitter, un hymne humoristique composé à bord. Il fait part de son plaisir d'être diffusé en direct à Times Square, à New York, pour le Nouvel An.

 

 

 

Parce que l'intérêt de l'expédition était discutable

Pour les scientifiques spécialistes des régions polaires, leur attitude met en exergue l'intérêt scientifique discutable de l'expédition Akademik Chokalskiï.  Son objectif ? Retracer le parcours de l'explorateur australien Sir Douglas Mawson. Mais "ce genre d'expédition commémorative n'a aucun intérêt d'un point de vue scientifique", estime Yves Frenot, directeur de l'Institut polaire français Paul-Emile-Victor (IPEV). Au Monde, il parle même de la "croisière s'amuse".

Le glaciologue Jérôme Chappellaz parle d'une expédition "présentée comme scientifique, alors qu'il y a surtout des touristes à bord, qui ont payé pour faire le voyage".

Parce qu'ils mettent en péril d'autres projets scientifiques

C'est probablement ce qui hérisse le plus. Toute cette débauche de moyen pénalise d'autres projets scientifiques, qui devaient recevoir le soutien logistique des bateaux réquisitionnés.

L'Astrolabe a ainsi dû supprimer une campagne océanographique de deux semaines. Yves Frenot déplore dans Le Monde des conséquences pour les programmes de recherche dans l'Antarctique : "Mais nous avons été relativement chanceux. Les Chinois ont été contraints d'annuler toutes leurs expériences, et mon homologue australien est vert de rage parce que toute sa saison d'été est foutue".

L'Aurora a été forcé de suspendre sa mission d'approvisionnement de la base australienne pour venir en aide au navire russe. "Ces opérations vont inévitablement réduire une saison déjà courte", explique Jason Mundy, directeur du Département australien de l'Antarctique.

Parce que c'est un gouffre financier

Inutile de préciser que ce type de sauvetage, loin de toute terre habitée, est très coûteux. Une seule journée de fonctionnement pour l'Astrolabe coûte 20 000 euros, sans compter les salaires, selon Le Monde.

La facture pourrait devenir encore plus salée s'il arrivait malheur au Xue Long. Le navire chinois s'est en effet trouvé à son tour cerné par les glaces. Pire, un iceberg le menace, venant le frôler à seulement 1,2 milles (environ 2 kilomètres). Pour l'instant, le navire n'a pas subi d'avarie mais les manœuvres de dégagement sont très délicates et ont toutes échouées.

La question se pose désormais de savoir qui va supporter le coût des opérations de secours.

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