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Face à l'inflation et à la crise écologique, faut-il arrêter d'offrir des cadeaux de Noël ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Les échanges de cadeaux, à Noël notamment, sont fondamentaux dans la société, mais pas toujours compatibles avec la sobriété. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
En plus de la hausse quasi généralisée des prix, de nombreux Français s'inquiètent des effets de la consommation sur les émissions de gaz à effet de serre.

Catalogues découpés, colis en retard, prêts à la consommation, kilomètres de papier-bulle… Et si on arrêtait tout ? En moyenne, chaque foyer français dépensera cette année 568 euros pour fêter Noël, selon une récente étude CSA. Ces achats, du smartphone au pull en coton en passant par le jouet incontournable, contribueront à des émissions de gaz à effet de serre toujours plus importantes, qu'il est pourtant urgent de freiner.

Cerise sur la bûche, quelqu'un (vous, peut-être) finira la journée avec non pas une mais deux trancheuses à saucisson et un livre de mantras "pour voir la vie en zen". En ces temps critiques de crises climatique et inflationniste, ne faudrait-il pas revoir cette soif de cadeaux ?

Renoncer aux cadeaux et se retrouver "au ban" de la société

"Les échanges de cadeaux ne sont pas au départ une invention commerciale", explique la sociologue Sophie Dubuisson-Quellier. Ils sont même "fondamentaux dans les sociétés humaines" et "indispensables pour permettre aux individus de construire du lien et de faire société". Ces échanges existent aussi pour "solidifier, pacifier et hiérarchiser les relations sociales". Dès lors, si vous n'y participez plus,  "vous vous retrouvez assez vite au ban du groupe", poursuit la sociologue et membre du Haut Conseil pour le climat.

Si vous célébrez Noël à plusieurs, débarquer les mains dans les poches "pour sauver la planète" vous fera donc passer, au mieux, pour un extra-terrestre. Quant au classique "c'est moi ton cadeau", il passe peut-être à la Saint-Valentin, ou si vous êtes Michael Bublé et que vous vous installez au piano pour chanter Let it Snow, beaucoup moins dans les repas de famille.

Certes, Noël permet de se retrouver, de partager du temps, de l'amour, un bon repas… Mais comme l'explique l'anthropologue Fanny Parise, c'est une fête "mi-commerciale, mi-cérémoniale", reflet de nos modes de vie. Pour elle, la consommation " prend tellement de place dans notre société qu'elle peut être considérée comme une religion à part entière, dans la mesure où elle structure et organise notre vie, ainsi que le système qui permet la vie en société".

"Les objets, les services et les expériences prennent le pas sur la notion de plaisir ou de partage, qui devraient être au cœur de l'esprit de Noël."

Fanny Parise, anthropologue

à franceinfo

L'appareil à raclette individuel ? Le billard de voyage ? Le papier-toilette sudoku ? Offrir étant davantage une règle qu'un choix, ces cadeaux "neutres" prolifèrent sur la terreur de ne pas remplir sa part du contrat social. Le site de ventes en ligne Cadeau Maestro nous apprenait ainsi début décembre que le chauffe-tasse USB Panda était en rupture de stock, "victime de son succès".

Selon Google, les gens qui "n'aiment rien" aiment secrètement prendre soin d'eux et sont frileux. (CAPTURE D'ECRAN / GOOGLE)

Vendus à bas prix, fabriqués à l'étranger dans de mauvaises conditions, peu utilisés… Ces stars des "Secret Santa" affichent un coût écologique et social inversement proportionnel à leur valeur. Et si ne rien offrir reste souvent inconcevable, il vaut mieux privilégier l'utile. Ou du moins, boycotter l'absurde.

L'argent (dans une enveloppe) ne fait pas le bonheur

Il existe néanmoins quelque chose dont tout le monde peut avoir besoin. Quelque chose qui, sur le papier, séduit les familles qui comptent à l'euro près ou ceux en guerre contre le futile et le gaspillage. L'argent ! "N ous ne sommes capables de choisir des cadeaux pertinents que pour les personnes que nous connaissons très bien", constatait l'économiste américain Joel Waldfogel, en 2015, dans un article de Vox (en anglais). "Pour tous les autres, nous ferions mieux de leur offrir des bons d'achat ou du liquide." Selon la théorie qu'il a développée en 1993, choisir un bien pour autrui provoque chaque année une "perte sèche" de plusieurs milliards de dollars. Un gouffre qui engloutit pulls jamais portés, baskets trop petites et autres livres en double. A la lumière des crises que nous traversons, la logique de Joel Waldfogel relève-t-elle du bon sens ?

Ce "raisonnement économique est erroné et absurde", tranche François Lévêque, professeur d'économie à l'école des Mines de Paris. L'hiver dernier, il revenait dans The Conversation sur cette controverse de saison. Selon lui, son collègue américain "objective l'utilité par une mesure monétaire et il compare l'utilité entre les personnes". L'économiste français considère que cela revient à "faire de l'argent l'instrument universel de mesure du plaisir et qu'un dollar pour le donateur vaut autant qu'un dollar pour le donataire, alors même que le premier peut être plus riche que le second ou l'inverse". L'attention portée au choix, l'interaction, la surprise… Tout cela ne rentre pas dans une enveloppe, plaide-t-il.

Généraliser le chèque à Noël n'a aucun sens du point de vue ethnologique, abonde Fanny Parise, car tout dépend du lien entre les personnes. "Dans une famille et dans une dynamique intergénérationnelle, cela va être socialement plutôt bien accepté d'offrir de l'argent aux générations suivantes pour les aider, ou pour qu'ils en fassent ce qu'ils veulent." Mais l'échange perd tout intérêt dans une relation réciproque ("Tu me donnes 50 euros et je te donne 50 euros"). Bref, retourne à la case "pas de cadeau" et ne touche pas un rond.

"J'avais justement besoin de quelque chose pour descendre les poubelles !"

Pour maîtriser budget carbone et budget tout court, reste l'option sobre : le fait-maison et, dans une moindre mesure, la seconde main. Si aujourd'hui, "les cadeaux sont d'abord des achats, poursuit Sophie Dubuisson-Quillier, les échanges n'ont pas besoin d'être marchands". Ils répondent en revanche à de nombreuses règles "de hiérarchie, mais aussi de réciprocité, selon les principes du don et du contre-don", prévient la sociologue . En offrant un gilet tricoté, un portrait original et des pâtisseries "roulées à la main sous les aisselles", les personnages du Père Noël est une ordure commettent des faux pas, certes, mais se retrouvent dans des valeurs communes.

L'extrait culte met toutefois en lumière la limite du fait-maison : il mobilise un temps, un talent ou des ressources qui ne sont pas accessibles à tous.

Quid des cadeaux de seconde main ? Financièrement plus accessibles, ils n'en sont pas plus désirables. Au contraire. Pour les foyers modestes, frappés de plein fouet par la baisse du pouvoir d'achat, le marché d'occasion relève de "la sobriété subie", explique Fanny Parise. Rencontrée en novembre 2021 par franceinfo, Christelle Mainguy, mère célibataire dans la précarité, témoignait de l'angoisse de ne pouvoir couvrir ses enfants de cadeaux de Noël. Elle se voyait déjà " chercher des petits trucs pas chers" mais devoir "faire attention avec les cadeaux de seconde main". En cause, notamment, les codes sociaux des cours d'école : "Les autres gamins savent vite d'où viennent les vêtements, par exemple, et je ne veux pas qu'on se moque de mes enfants."

Des lutins en quête d'éthique

Début novembre, une étude britannique menée auprès de plus de 3  000  personnes assurait que 20% des parents interrogés finiraient l'hiver la hotte pleine de dettes. Noël est "un moment magique à part sur lequel on va faire un gros effort financier, quitte à économiser pendant les mois qui précèdent ou à passer par des circuits spécifiques, comme les promotions type Black Friday, les sites de fast-fashion, etc.", confirme Fanny Parise. Des pratiques encouragées par la publicité, stigmatisées pour leur empreinte environnementale, mais portées par la magie d'une fête où les cadeaux résultent "de choix que les individus font en fonction de contraintes matérielles, sociales et symboliques avec lesquelles ils composent au quotidien".

Les classes moyennes et supérieures feraient-elles donc des pères Noël plus vertueux ? Dans Les Enfants gâtés, paru en mai 2022, Fanny Parise pointe le rôle croissant du "mythe du capitalisme responsable". Cette "idéologie qui vise à faire rimer transition socio-éco-environnementale et profitabilité économique" s'exprime aussi au pied du sapin, à travers des cadeaux étiquetés "éthiques" et "vertueux". Cet argument marketing "conduit à surconsommer des produits dont on a l'impression qu'ils sont responsables, ce qui induit une forme de crédit moral", explique l'experte. "On fonctionne dans un système de compensation : je fais attention à Noël, mais je vais m'autoriser un voyage en avion quelque mois plus tard." Consommer mieux n'empêche pas "d'hyperconsommer", relève-t-elle, alors que les émissions de CO2 des foyers les plus aisés restent deux à quatre fois plus importantes que celles des plus modestes.

Se pencher sur les cadeaux de Noël "permet de comprendre que ces échanges matériels sont encastrés dans les fonctionnements collectifs et que les modifier de manière unilatérale est impossible", conclut Sophie Dubuisson-Quillier. "Il faut plutôt modifier nos normes et nos valeurs collectives. C'est pour cette raison que c'est plus facile à faire au sein d'un cercle familial ou amical, où l'on partage les mêmes normes, qu'en dehors." S'il n'existe pas de bon ou de mauvais cadeau, il est donc possible d'adopter de meilleures stratégies. Renoncer à commander en ligne, expliquer pourquoi vous ne souhaitez pas recevoir telle ou telle marque, se joindre à un cadeau commun plutôt qu'improviser. Et garder en tête qu'un cadeau réussi ne vient pas du bout du monde. Il vient du fond du cœur.

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