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Enquête France 2 "Touche pas à mon poste" : de nouveaux SMS révèlent les consignes strictes passées aux chroniqueurs de Cyril Hanouna avant l'émission

D'autres textos, consultés par "Complément d'enquête", montrent que des éléments de langage sont transmis aux chroniqueurs avant leur passage à l'antenne.
Article rédigé par franceinfo - Virginie Vilar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Extrait de l'émission "Touche pas à mon poste", présentée par Cyril Hanouna, le 17 novembre 2022. (ROMAIN DOUCELIN / HANS LUCAS / AFP)

"Il y a un truc qui m'a fait vraiment de la peine dans tout ce que j'ai vu. C'est quand on dit qu'on est des ventriloques et qu'on [réagit] sur commande. (…) C'est humiliant pour nous et c'est un mensonge absolu !" Jeudi 30 novembre, sur le plateau de "Touche pas à mon poste" ("TPMP"), Géraldine Maillet ne décolère pas. A quelques heures de la diffusion du numéro de "Complément d'enquête" consacré à Cyril Hanouna, la chroniqueuse réagit à nos révélations sur la manière dont des consignes écrites sont transmises à ses collègues avant leur arrivée en plateau. 

Dans le documentaire, cette pratique est notamment démontrée lors d'une séquence de l'émission visant Arthur, l'un des plus grands rivaux du présentateur. "Sur Arthur, Cyril veut qu'on dise ça", détaille ainsi un échange de SMS consulté par "Complément d'enquête". Sur le plateau, les destinataires de ces messages, Bernard Montiel et Guillaume Genton, reprennent au mot près les éléments de langage transmis.

Cette situation est loin d'être isolée. Nous avons en effet récupéré des dizaines de SMS échangés entre la production de "TPMP" et ses chroniqueurs. Ces messages montrent comment les débats entre la star de C8 et ses intervenants sont réglés à l'avance.

"C'est dealé avec Cyril et Bolloré"

Un de ces textos est directement adressé à la chroniqueuse Géraldine Maillet. Le 7 octobre 2019, la production lui transmet des éléments de langage à développer au sujet du film Sœurs d'armes de l'essayiste Caroline Fourest, dont il faut parler en plateau "comme [d']un coup de cœur". La production insiste : l'éloge est "dealé avec Cyril [Hanouna] et [Vincent] Bolloré", le propriétaire de la chaîne, donc "il faut vraiment que tu le fasses".

Dans un second SMS envoyé le même jour, il est une nouvelle fois précisé que les éléments de langage proviennent de Vincent Bolloré. "Pour le film : très important car demande de Bolloré. (...) Il faut vraiment que tu regardes ce que dit la critique et que ça soit un vrai coup de cœur", écrit la production. 

Capture d'écran d'un message de la production de "Touche pas à mon poste" envoyé à l'une des chroniqueuses avant un passage à l'antenne, le 7 octobre 2019. (FRANCE TELEVISIONS)

Ces consignes sont contraires aux recommandations fixées par l'Arcom, qui veille à ce que l'actionnaire n'intervienne pas directement sur le contenu éditorial d'un média. "L'éditeur d'un service de communication audiovisuelle veille à ce que les émissions d'information et les programmes qui y concourent soient réalisés dans des conditions qui garantissent l'indépendance de l'information, notamment à l'égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses annonceurs", stipule ainsi l'article 4 d'une délibération du gendarme de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l’information. 

Pourquoi Vincent Bolloré souhaitait-il que le film Sœurs d'armes bénéficie d'une bonne critique sur le plateau de "TPMP" ? Le milliardaire breton n'a pas répondu à nos sollicitations. Une chose est certaine : en tant que propriétaire de Vivendi et de sa filiale Canal+, Vincent Bolloré participe au financement d'une centaine de films français par an. La chaîne était ainsi l'un des principaux financeurs du long-métrage de Caroline Fourest. Contactée par "Complément d'enquête", Géraldine Maillet confirme et "revendique totalement avoir dit du bien" à l'antenne "de cette femme [Caroline Fourest] et de son film". Elle assure que sa critique relevait de son libre-arbitre, et non d'une consigne.

"Il ne faut surtout pas en parler"

Un autre texto, envoyé début 2020 et que "Complément d'enquête" s'est procuré, met en évidence cette pratique. Il est, là encore, question de cinéma. Cette fois, la production de "TPMP" interdit carrément aux chroniqueurs de parler d'une polémique pourtant largement relayée par la presse à l'époque : l'attribution, le 28 février 2020, du César de la meilleure réalisation à Roman Polanski pour le film J'accuse.

Sur le plateau de "Touche pas à mon poste", pas question d'évoquer ce prix, qui provoqué un scandale alors que le réalisateur est accusé par plusieurs femmes de viols ou agressions sexuelles. Le message de la production à plusieurs chroniqueurs est sans équivoque : "ATTENTION – si jamais au moment où nous parlons des agressions dans le sport etc vous vient l'idée de revenir sur les Césars, sur Polanski (...) il ne faut SURTOUT PAS en parler."

Capture d'écran d'un message de la production de "Touche pas à mon poste" que l'émission "Complément d'enquête" a pu se procurer. (FRANCE TELEVISIONS)

Pourquoi demander expressément de ne pas parler de cet épisode ? Vincent Bolloré en personne, producteur de la cérémonie via Vivendi et Canal+, est-il une nouvelle fois à l'origine de cette consigne ? "Complément d'enquête" n'a pas trouvé la réponse dans les SMS consultés.

Ne pas critiquer Alexandre Benalla

Un autre message, plus ancien, révèle que ces consignes ont parfois trait à la politique. On apprend également que cette pratique avait cours lorsque Cyril Hanouna avait lancé l'émission de débat politique "Balance ton post !" en 2018. Selon le message que nous nous sommes procuré, les chroniqueurs ne devaient ainsi surtout pas dire du mal d'Alexandre Benalla, ancien proche d'Emmanuel Macron filmé en train de commettre des violences lors du 1er mai 2018. Raison invoquée ? Cyril Hanouna souhaitait l'inviter dans l'émission. "A tous, Cyril va peut-être parler de Benalla ce soir. Il ne faut PAS le défoncer parce qu'ils essaient de l'avoir sur BTP [Balance ton post]", stipule un texto reçu par des chroniqueurs.

Capture d'écran d'un message de la production de "Touche pas à mon poste" aux chroniqueurs, que s'est procurée l'émission "Complément d'enquête". (FRANCE TELEVISIONS)

Tout semble prétexte à cadrer la parole de l'équipe. En août 2019, la campagne publicitaire de Dior pour son parfum "The New Sauvage" avec Johnny Depp provoque la polémique. Sur les réseaux sociaux, la maison de luxe est accusée de "racisme" et de "colonialisme" à l'égard des peuples autochtones d'Amérique. Mais, sur TPMP, les chroniqueurs reçoivent explicitement la consigne de décrédibiliser la controverse, démontre un message de la production :

Capture d'écran d'un message de la production de "Touche pas à mon poste" envoyé par la production à propos d'une publicité avec Johnny Depp. (FRANCE TELEVISIONS)

"Pour la polémique sur Dior (pub sauvage avec Johnny Depp) on me dit de vous dire que vous devez dire que c'est ridicule."

Ces consignes ont-elles été appliquées par les chroniqueurs, comme ce fut le cas pour la séquence évoquant Arthur ? Les rediffusions des émissions concernées n'étant plus accessibles, "Complément d'enquête" n'a pas pu le vérifier. Elles mettent toutefois en évidence un contrôle de ce qui se dit à l'antenne, un point contesté par l'avocat de Cyril Hanouna. Contacté par "Complément d'enquête", ce dernier assure, en effet, que tous les chroniqueurs sont libres de leurs propos.

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