Tunisie : les salafistes repassent à l'offensive contre la culture
Dans la nuit de jeudi à vendredi à Bizerte (nord), quelque 200 militants radicaux, armés de bâtons et de sabres, ont attaqué un évènement organisé dans le cadre de la "Journée al-Aqsa", faisant cinq blessés.
Selon des organisateurs, les policiers ont attendu une heure avant de disperser les assaillants. Quatre salafistes ont été arrêtés, a indiqué le ministère de l'Intérieur.
La manifestation de Bizerte a été marquée par la présence de de Samir Kantar, un militant du Front de libération de Palestine (FLP) qui a passé près de trente ans dans les prisons israéliennes avant d'être libéré en 2008 dans la cadre d'un échange avec le mouvement libanais chiite Hezbollah. Selon les organisateurs, Kantar a affiché des positions favorable au régime du président syrien Bachar al-Assad lors de ses interventions.
Il s'agissait du troisième spectacle en trois jours a avoir été pris pour cible par des fondamentalistes. Les deux fois précédentes aucun acte de violence n'avait été signalé.
Le 6 août, le responsable du festival de Gboullat, dans la région de Béja (nord), annonçait l'annulation de l'évènement en raison de pressions, notamment de "salafistes".
Mardi soir à Menzel Bourguiba (nord), d'autres islamistes radicaux ont bloqué la scène sur laquelle le célèbre comique Lofti Abdelli(Nouvelle fenêtre), qu'ils accusent d'offense à l'islam, devait jouer son spectacle "100% halal".
Le lendemain, c'est à Kairouan (160 km au sud de Tunis) que le groupe iranien Mehrab est empêché de se produire au Festival international de musique sacrée et soufie. Leur méfait: être chiites, ce qui est une atteinte au sacré selon des fondamentalistes sunnites.
Déjà fin juillet, la direction du festival de Sejnane avait annulé cet évènement après que des salafistes l'ont interrompu, le jugeant inacceptable en période de ramadan.
Aucun mouvement radical n'a diffusé de revendication, et le principal, Ansar Al Charia (les partisans de la charia), refuse tout contact avec les médias étrangers.
Les forces de l'ordre qui ont dispersé sans ménagement les mouvements sociaux ces dernières semaines se sont montrées plutôt discrètes, n'annonçant aucune interpellation.
Dès lors, certains soupçonnent de complicité les islamistes du parti au pouvoir, Ennahda. "On laisse faire les salafistes", s'emporte Leïla Toubel, célèbre dramaturge tunisienne.
"Comment croire que ce gouvernement et Ennahda ne sont pas impliqués? Je voudrais bien croire qu'ils n'y sont pour rien mais ces gens (les salafistes, ndlr) sont restés impunis, ils font leur loi", poursuit-elle, dénonçant une "complicité au moins par le silence".
Le monde de la culture dénonce le laxisme des autorités
"Ce qui est grave dans cette affaire, en plus de l'activisme des extrémistes religieux qui prend chaque jour plus d'ampleur, c'est le laxisme des autorités qui capitulent à chaque fois devant les diktats de quelques énergumènes barbus", estime le journal en ligne Kapitalis, très critique du pouvoir.
Le ministère de l'Intérieur, contacté par l'AFP, n'a pas commenté ces accusations, indiquant simplement qu'un communiqué était en préparation.
Le ministère de la Culture a vu dans l'annulation forcée du spectacle de Lofti Abdelli une "atteinte à la liberté d'expression", mais n'a pas expliqué la passivité des policiers.
"Ce genre d'agissements constituent une atteinte à la liberté d'expression et une menace dangereuse pour le droit à la culture", a-t-il relevé, ajoutant, sans plus de précisions, qu'une action en justice était en cours.
Ennahda était déjà dans la ligne de mire de défenseurs des droits de l'Homme pour avoir déposé un projet de loi punissant de prison ferme l'atteinte au sacré. Nombre d'observateurs considèrent que ce texte constitue une atteinte à la liberté d'expression et de création.
L'opposition et la société civile ont aussi a maintes reprises critiqué le manque d'empressement des autorités à sévir contre les salafistes.
Le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi avait expliqué en juillet chercher le dialogue avec cette mouvance afin que la Tunisie ne retombe pas dans "l'oppression, la torture, l'emprisonnement" qui caractérisaient le régime du président déchu Zine el Abidine Ben Ali.
"Les chasser et les pourchasser ne fera qu'augmenter leur exclusion et radicaliser leur engagement", jugeait-il.
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