"Vu du pont" : Charles Berling dans un drame aux allures de tragédie grecque
Aux Ateliers Berthier (la 2e salle de l'Odéon), le public s'installe en surplomb d'une boite fermée. Lorsqu'elle s'ouvre il découvre un plateau nu que rien n'encombre. Aucune référence au quartier des dockers de Red Hook proche du Pont de Brooklyn, aucune référence à un intérieur italo-américain. Seuls trois marches distinguent le dedans du dehors.
C'est dans cet espace vierge qu'Ivo van Hove orchestre le drame d'Arthur Miller. L'histoire : celle d'Eddie Carbone, un docker d'origine italienne qui refuse de voir partir sa nièce qu'il a élevée. La passion qu'il lui voue, l'homme bon et simple ne peut ni la formuler, ni se l'avouer : un amour qui va le conduire à trahir les siens, pour empêcher la jeune femme d'épouser un immigré italien.
Charles Berling juste et poignant
Eddie, entre ombre et lumière, c'est Charles Berling que l'on a rarement vu aussi juste et poignant. Tenant jusqu'au bout son personnage pris dans l'engrenage de la fatalité. "Un homme qui ne peut pas être autrement qu'il n'est", selon les mots d'Ivo van Hove.Cette micro société, où les familles reconstituent leur milieu d'origine et ses règles, omerta et vendetta comprises, le metteur en scène l'aborde comme une tragédie grecque. Il y a par exemple le rôle de l'ami impuissant qui pourrait symboliser le peuple et l'avocat narrateur celui du choeur d'une tragédie.
Des acteurs dirigés au plus près des sentiments
Alain Fromager (l'avocat) donne beaucoup d'humanité à cet homme de justice, tiraillé entre la loi sicilienne et la loi américaine ; "une sorte de pont entre deux cultures", note Ivo Van Hove. Caroline Proust (la flic déprimée d'"Engrenages") incarne l'épouse lucide et ulcérée, Pauline Cheviller, la nièce bien aimée, Nicolas Avinée et Laurent Papot, les deux clandestins italiens. Tous ont un vrai rôle à défendre. Et van Hove en les déplaçant comme sur un échiquier, les conduit par l'intensité de leur jeu et leur présence permanente en scène, à nous rendre sensible et inquiétant l'inéluctable à venir.On reprochera cependant à cette mise en scène qui réussit à diriger les acteurs au plus près des sentiments, de se permettre quelques coquetteries inutiles. L'omniprésence du Requiem de Fauré surligne la moindre intention. La scène finale, qui voit sous une pluie de sang les comédiens ne former plus qu'un seul corps, est d'une emphase superflue.
Une tragédie intemporelle
Peu jouée, un peu oubliée, la pièce de Miller prend une résonnance particulière aujourd'hui avec ces immigrés sans papiers qui quittent leur pays pour des raisons essentiellement économiques. Nous rappelant aussi par cette plongée dans une communauté qui cherche sa place, les films de James Gray ("The Yards", "The immigrant").Car vu de loin cette histoire peut s'apparenter à un banal fait divers, mais "Vu du pont", qui est la situation dans laquelle se trouve le spectateur, cette histoire si humaine a bien des allures de tragédie intemporelle.
La mise en scène créée à Londres, reprise au théâtre de l'Odéon avec une distribution française, sera jouée également à Broadway à l'occasion du centenaire de la naissance de Miller.
"Vu du pont" d'Arthur Miller aux Ateliers Berthier
Mise en scène d'Ivovan Hove
Du 10 octobre au 21 novembre 2015
1 rue André Suarès, Paris XVIIe
Réservation : 01 44 85 40 40
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