Trophée Culture et Diversité : retour sur le grand match d'improvisation des collégiens sous les ors de la Comédie-Française
Engagée aux côtés de la Fondation Culture et Diversité, la Comédie-Française a accueilli pour la première fois la finale nationale du Trophée d’impro Culture et Diversité en juin. Dans la foulée, l'institution a annoncé un partenariat culturel avec la ville de Trappes, ville d'origine de Jamel Debbouze et berceau de l'improvisation. Retour sur une soirée rafraichissante dans la maison de Molière.
De l’improvisation sur la scène de la salle Richelieu, ça n’était encore jamais arrivé. Pourtant, l’idée aurait sûrement enchanté Molière, considéré comme l’un des premiers improvisateurs. "S’il avait eu à choisir une représentation parmi la programmation, mon petit doigt me dit qu’il aurait choisi cette journée qui est la plus fidèle à son art et à son geste", prédisait Éric Ruff, administrateur général de la Comédie française.
Si le "grand patron" de la Comédie-Française n’a pu honorer de sa présence la finale du trophée culture et diversité, nombreux étaient les invités de marque à avoir fait le déplacement. Se faufilant entre les sièges du parterre, Jack Lang, qui ne refuse jamais un selfie, ou encore la discrète ministre de la Culture Rima Abdul-Malak aux côtés de Brigitte Macron, confortablement installées au balcon.
"Un moment historique"
Depuis 2010, le Trophée donne l’occasion à des jeunes collégiens issus de zones prioritaires ou de zones rurales de découvrir l’improvisation théâtrale. Ce n’est que douze ans plus tard, à l’occasion des 400 ans de la naissance de Molière, que le théâtre classique et l’improvisation se donnent rendez-vous à la Comédie-Française. "Un moment historique pour toutes celles qui enfilent des joggings pour s’entraîner (...). C’est aussi un moment historique pour la Comédie-Française, pour les acteurs et actrices de ce théâtre classique", estime avec émotion Mélanie Le Moine, la maîtresse de cérémonie.
Pour marquer le coup de cette collaboration, la Comédie-Française a établi une convention à visée culturelle avec la ville de Trappes. "Toute une tranche d’âge va venir à la Comédie, et la Comédie va aller à Trappes", lance Eric Ruff. Un virage dans l'histoire de cette discipline longtemps ignorée, accueillie Place Colette.
Une patinoire comme terrain de jeu
Habituellement installée dans des réfectoires et autres gymnases, la patinoire (le nom cette arêne d'impro), a été dréssée sous le rideau de velour pourpre. Au milieu de la scène, deux équipes de collégiens habillés de maillots de hockey floqués à leur nom attendent patiemment de chaque côté du carré blanc. À leurs côtés, leurs coachs respectifs, crayon et feuille à la main, sont suspendus aux lèvres de l’arbitre. Véritable caricature de l’arbitre d’hockey sur glace, Nour El Yakinn Louiz entre sur scène, visage fermé sous les huées du public. Ce soir, c’est lui le méchant et il le fait comprendre dès les premiers instants.
Accompagné de deux autres arbitres, il comptabilise les fautes, donne les thèmes et les consignes de chaque improvisation. D'une durée de trente secondes à deux minutes les capsules s’enchaînent, en forme mixte (les deux équipent jouent ensemble) ou comparée (chacune passe à son tour) : "Cachez ce vin que je ne saurai voir", "Un blaireau sur la départementale", "Un palais breton pour le sultan" ou encore "Un phylactère à la mer". Les jeunes sont parfois tenus de chanter, de mimer ou encore de jouer à la manière de Molière, une nouvelle épreuve, 400 de Molière oblige !
Aussitôt les consignes données, les deux équipes adverses se concertent autour de leur coach. Vingt secondes plus tard, les voilà lancés tandis que le public digère encore ce qui vient d’être énoncé. À chaque erreur, l’arbitre siffle et nomme la faute à travers une gestuelle très précise qui nous est complètement incompréhensible. Sur la patinoire, les collégiens impressionnent par leur aisance et leur esprit d'équipe. Difficile de choisir entre la face rouge et blanche du carton pour départager les deux équipes. Une chûte ou une réplique bien placée suffit à convaincre et à faire résonner les rires du public jusqu’au plafond de la salle Richelieu. Parfois l’arbitre est à deux doigts de s’arracher les cheveux quand les anachronismes fleurissent : carton rouge pour "dressing" au lieu d'armoire à vêtements ou "fusée" alors que le thème abordé est le 17e siècle.
Facteur d'épanouissement
"C’est énorme, je ne me voyais pas venir là". Bien qu'elle prépare cette compétition depuis octobre, Emma de l’équipe Auvergne-Rhône-Alpes, en finale ce soir-là, n'en revient toujours pas. Au départ, les collégiens étaient répartis entre trois équipes différentes. Pendant plusieurs mois ils se sont préparés avec leur coach. "Ils n’ont que trente heures et c’est très peu de temps pour assimiler les règles et préparer les catégories à la manière de Molière" tient à rappeler Pierre-Antoine Baillon de PDG&Cie, la ligue d'impro de Savoie. Séparés d’une cinquantaine de kilomètres les uns des autres, les collégiens se sont finalement rencontrés lors du match régional, les qualifiés ont pris la route pour la salle Richelieu. "Grâce au coach, on a pu apprendre tellement de choses sur Molière qu’on n'a pas vu en classe", raconte Emma, citant en exemple l'importance des masques chez le dramaturge.
Au-delà d'un enrichissement culturel, ce dispositif permet aux jeunes de se confronter aux autres et à eux-même. "Moi à l’époque j’étais un enfant timide et j’ai explosé sur scène grâce à l'impro. J’ai trouvé ça génial !" se remémore David Sillet-Grad, coach et fondateur de la ligue d'impro de Savoie. Sur le plan scolaire, le comédien se rappelle avoir vu ses notes décoller suite à son intégration à l’équipe de France d’impro. "Quand j’ai été contacté pour participer au Trophée Culture et Diversité j'ai tout de suite accepté parce que je sais ce que ça peut apporter à ces jeunes, des adultes en devenir".
Ainsi le coach a décidé de prendre sous son aile le jeune Yousstoine âgé de 13 ans. "J’hésitais avec un autre élève mais on s’est dit que ça allait raccrocher Yousstoine à l’école et ça fonctionne !" se réjouit le formateur. "Avant, j’avais les mains dans les poches, j’étais comme bloqué. Et maintenant j’arrive à m’exprimer !", confirme le collégien avant de monter sur scène pour la finale.
De Trappes à la Comédie-Française
Aux premières loges, l’arbitre Nour El Yakinn Louiz en a vu passer des gamins comme Yousstoine. Les premiers qu’il a croisés, c’était à Trappes. C’est dans la petite salle communale Jean-Baptiste Clément installée au milieu de la cité qu’il arbitre son premier match d’improvisation. En 22 ans, celui qui commence à rouler sa bosse dans le milieu, n’avait encore jamais imaginé jouer de son sifflet sur la scène de la Comédie-Française.
Pour arborer fièrement les couleurs de Trappes, bastion de l’improvisation, il est accompagné ce vendredi soir d’Amel Amziane, membre de la même troupe et coach de la triomphante équipe Île-de-France, "Papy", dit Alain Degois, grande figure de l’improvisation à Trappes et désormais metteur en scène et directeur artistique du trophée Culture et Diversité, ou encore Jamel Debbouze, son ancien partenaire de jeu.
Le célèbre humoriste a du mal à contenir son émotion : "Ça me fait chaud au cœur, car c’est grâce à cette discipline que j’ai pu m’exprimer et avoir le sentiment d’être digne". Le regard tourné vers la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak et Brigitte Macron, il glisse diplomatiquement : "En espérant que l’impro puisse atteindre l’éducation nationale".
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