"Une grande pièce qui renvoie à des choses humaines d’aujourd’hui" : Olivier Maurin crée Dom Juan au TNP Villeurbanne
A l’issue de sa résidence de création, le metteur en scène lyonnais présente la pièce de Molière à Villeurbanne jusqu’au 7 décembre.
Olivier Maurin met en scène au TNP de Villeurbanne Dom Juan. Plus habitué aux textes contemporains, c’est une première pour le metteur en scène lyonnais. L’occasion d’évoquer avec lui son processus créatif autour de l’œuvre de Molière.
Naissance d’une création
Durant cinq semaines, Olivier Maurin et ses comédiens se sont enfermés au TNP pour travailler la pièce. Cinq semaines de résidence où chacun arrive à nu, découvre ou redécouvre le texte, celui de Molière mis en prose, apprivoise la langue, fait des propositions. "Mickaël Pinelli (Sganarelle) qui est un comédien extrêmement inventif donnait des éclairages à la pièce même dans ses propositions les plus loufoques", nous confie le metteur en scène.
Au terme d’une longue maturation, d’heures de répétitions, de nuits à réfléchir, de journées à faire et à défaire, le temps du choix s’impose. "C’est un moment douloureux, car on sait que l’on se prive de plein de choses". Aujourd’hui, Olivier Maurin et ses acteurs nous livrent un Dom Juan pétri d’ombres et de lumière. Dans la petite salle Jean Bouise du TNP de Villeurbanne, la pièce se vit au plus près des comédiens.
Une étincelle d’acteurs
Chaque création d’Olivier Maurin est une déclaration d’amour à ses acteurs : c'est du besoin de les voir jouer que naît sa toute première envie de monter Dom Juan.
Le point de démarrage, c’est les acteurs. L’étincelle est apparue en 2015, je regardais Arthur Fourcade et Mickael Pinelli marcher dans la rue et je les ai vus en Dom Juan et Sganarelle
Olivier MaurinMetteur en scène
Ils font tous preuve de justesse dans l'interprétation. Quand Mickaël Pinelli excelle dans un Sganarelle impétueux, insolent, admiratif de son maître et tellement désemparé par la froideur de ce dernier, Arthur Fourcade s’empare d’un Dom Juan hautement sincère dans sa lâcheté. Ces deux personnages portent la complexité du texte de Molière. "La vraie question c’est : qui est ce duo Dom Juan / Sganarelle ? On serait tenté de vouloir le résoudre par Dom Juan mais c’est par Sganarelle que ça se résout. La pièce aurait pu s’appeler Sganarelle, Molière a d’ailleurs écrit le rôle de Sganarelle pour lui", nous éclaire Olivier Maurin.
Au sein de la compagnie Ostinato règne un esprit de troupe comme à l’époque de Molière. Chaque parole est respectée. Chaque proposition invite à la création et sur scène, chaque monologue invite à la réflexion. Celui d'Elvire (Clémentine Allain), amoureuse éconduite du séducteur, tout comme celui du père (Rémi Rauzier) nous plonge dans le revers des actions de Dom Juan. "Je me méfie souvent des idées de metteur en scène et je me fie plus aux intuitions des acteurs car c’est eux qui les appliquent sur le plateau.", nous explique-t-il. Tel un réceptacle de l’énergie des corps et des voix, Olivier Maurin apporte des ruptures de rythme, peaufine le grain, et laisse glisser les choses comme par magie.
Une pièce facile d’accès en apparence
Ecrite en 1665, la pièce de Molière pose la question de la liberté d’aimer sans limite. Si l’intrigue semble simple en apparence, elle pose néanmoins des questions fondamentales qui ont traversé les siècles. Intemporel, le texte du dramaturge résonne encore aujourd’hui et soulève les mêmes questions de société. La relation aux autres, au père, à la morale et la relation à soi. A toutes ces questions, Olivier Maurin en pose encore d’autres. "Est-ce qu’être libre c’est dépasser tous les cadres ou est-ce être libre dans les cadres ? Je ne suis pas sûr que Dom Juan soit un être libre, il reproduit le même fonctionnement sans arrêt car il est totalement prisonnier de celui-ci". Cette figure éminemment immorale, mais terriblement séduisante place le spectateur dans une posture volontairement inconfortable. "En deux actes, Molière parvient à démontrer l’aspect jouissif d’un choix et l’aspect destructeur de ce même comportement".
La pièce de Molière alterne des situations lumineuses et des choses très noires. Chez Olivier Maurin, la question du désir, de la passion, de la possession d’autrui reste intacte. Toutes ces émotions et ces sentiments contraires posent encore question aujourd’hui. "Au moment de la scène entre Charlotte et Dom Juan il a fallu faire des choix. C’est vraiment la domination masculine et la prédation qui s’expriment, mais on ne voulait pas resserrer le propos uniquement sur ça. Charlotte c’est aussi un personnage puissant". Dom Juan n’est pas seulement un grand narcissique manipulateur, c’est aussi un personnage pour lequel on éprouve de l’empathie et qui nous permet de reconnaître des mécanismes qui nous sont propres. Loin de la figure un peu caricaturale du Dom Juan séducteur, la mise en scène d’Olivier Maurin, révèle un personnage en constante recherche de lui-même.
Dom Juan c’est une pièce insaisissable qui vrille la tête car très composite, on ne sait jamais ce que pense Dom Juan
Olivier MaurinMetteur en scène
Quand le classique éclaire la société contemporaine
La création d’Olivier Maurin respecte à la lettre le texte de Molière. "J’avais très envie de travailler cette langue classique de la même manière que je travaille des textes contemporains ", nous confie le metteur en scène. Et sur le plateau de la petite scène du TNP, cette langue du XVIIe siècle se révèle étonnement contemporaine et éclaire la société actuelle. "Ce texte classique c’est du clair-obscur et finalement il vit et pense comme nous aujourd’hui".
Démanteler la statue du commandeur
Loin de la mise en scène d’origine où la machinerie prenait une part importante, Olivier Maurin fait tomber les codes. La statue du commandeur, par qui vient le jugement dernier de Dom Juan, se révèle tout autrement. Comme une envie de démanteler le mythe.
Je voulais une mort très humaine où la machine du commandeur s’efface presque au profit de visage de Dom Juan accablé par son destin.
Olivier MaurinMetteur en scène
Une fin qui s’est trouvée au terme de trois ou quatre semaines de travail. "C’est d’ailleurs Arthur Fourcade, l’acteur qui incarne Dom Juan, qui a fait cette proposition", confie encore Olivier Maurin.
Un texte jouissif pour le spectateur
Cette place faite à l’écoute des comédiens, Olivier Maurin l’applique également au public et laisse son entière liberté à recevoir un message. Chaque changement d’acte permet au spectateur d’intégrer ce qu’il vient de voir. Un moment comme en suspension créé par une scénographie fluide. Olivier Maurin et la scénographe Emily Cauwet-Lafont imaginent des détails qui laissent un temps pour la respiration. Dans la pénombre, en quelques déplacements, les acteurs allument une bougie, font jouer de la musique sur un gramophone, changent le décor. "C’est important de laisser la pensée vagabonder car la pièce est très dense", dit encore le metteur en scène.
Avec Dom Juan, Molière rend intelligent le spectateur. Il fait dire au personnage quelque chose puis montre en action les conséquences de ses actes. Le public a toujours un temps d’avance sur ce qui va advenir. "C’est jouissif pour le spectateur de voir comment l’acteur joue et comment le personnage est en train de fabriquer quelque chose avec l’autre".
Au terme de la représentation, chacun ressort avec une lecture différente, des émotions puissantes, une envie de pénétrer encore la figure complexe de Dom Juan. "J’ai mes réponses intimes, mais je ne veux pas les donner dans le spectacle pour que chacun puisse donner sa propre analyse", souffle en conclusion Olivier Maurin.
Dom Juan au TNP Villeurbanne jusqu'au 7 décembre 2019
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