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Tiago Rodrigues porte la scandaleuse "Madame Bovary" à la scène
Directeur à Lisbonne de l'équivalent de notre Comédie-Française, Tiago Rodrigues est en villégiature pour deux mois au Théâtre de la Bastille à Paris où il met en scène "Bovary", évocation du scandale de l'œuvre qui valut à Flaubert un procès retentissant en 1857.
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Contemporain
Tiago Rodrigues restitue la soif éperdue de vie et de liberté d'Emma Bovary, mais il débat également de la portée révolutionnaire de la littérature sans jamais ennuyer.Tout débute par ce procès intenté à Flaubert pour atteinte à la morale et à la religion au moment de la publication de son roman en feuilleton. Le ministère public craint alors pour la moralité des jeunes filles qui pourraient tenir ce brûlot entre leurs mains.
Sur scène, au milieu de feuillets éparpillés comme autant de pages du livre, cinq acteurs incarnent à la fois l'accusation, la défense, Flaubert lui-même (Jacques Bonaffé), et tous les personnages du livre: Emma, Charles Bovary, le pharmacien Homais, les amants d'Emma...
Au fil du procès, Tiago Rodrigues joue ainsi le livre entier sur scène, citant les paragraphes incriminés. Emma, prise dans le carcan d'ennui de la petite bourgeoisie normande, aspire à "la félicité, comme dans les livres. La passion comme dans les livres. L'ivresse, comme dans les livres".
Tiago Rodrigues sait être fidèle à Flaubert tout en faisant comprendre à un public contemporain le vertige que représente à l'époque une valse pour une jeune femme exaltée comme Emma : c'est sur un rock échevelé qu'elle virevolte, le feu aux joues.
Le procès de Flaubert est bien sûr celui d'Emma, femme libre dont la conduite est une insulte à la religion et à l'ordre social. N'avait-il pas lancé devant ses accusateurs ce mot resté fameux : "Madame Bovary, c'est moi !"
Révolutionnaire Emma
La Emma de Tiago Rodrigues (Alma Palacios) met de son côté à la fin de la pièce l'accusation comme la défense. Toutes deux tombent dans ses bras, l'embrassant à pleine bouche.Ce n'est pas la seule note d'humour de cette "Bovary" aux multiples niveaux de lecture, comme l'air benêt de Charles Bovary (Grégoire Monsaingeon), ou les inventions de la mise en scène qui place une énorme bouteille d'arsenic sur le devant de la scène alors qu'Emma s'achemine vers le suicide et le pharmacien Homais ne cesse de répéter "N'oubliez pas que l'arsenic est là. C'est très dangereux".
Ce n'est pas la première fois que Tiago Rodrigues s'avère un passeur de littérature au théâtre. Dans "By Heart", il faisait apprendre sur scène à dix spectateurs volontaires un sonnet de Shakespeare, tout en déroulant l'histoire de sa grand-mère amoureuse de littérature. Dans "Antonio et Cleopatra", donné au Festival d'Avignon l'été dernier, il évoquait la pièce de Shakespeare en une sorte de mélopée fascinante (du 14 septembre au 8 octobre au Théâtre de la Bastille).
Le dramaturge s'installe pour 68 jours pour une "occupation" de la Bastille (11
avril-12 juin) ponctuée de créations ouvertes gratuitement au public. Un groupe de 90 personnes, composé d'artistes français et portugais et de 70 spectateurs du théâtre va inventer des soirées uniques, intitulées "Ce soir ne se répétera jamais" (les mardis 10, 17 et 24 mai). Une création ("Je t'ai vu pour la première fois au théâtre de la Bastille") conclura cette "Occupation" du 6 au 12 juin.
"Nous ouvrirons les portes du théâtre afin que la cité puisse découvrir les exploits et les échecs de notre audacieuse occupation", promet Tiago Rodrigues.
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