Quand Pinter flirte avec le Boulevard en auscultant les tensions qui agitent le trio mari-femme-amant, il le fait avec un raffinement pervers : il commence par la fin et remonte jusqu’aux origines de la décomposition du couple. C’est ce qui fait, en particulier, l’originalité de "Trahisons".Rembobinage Deux ans après la fin de leur liaison, Emma a donné rendez-vous à Jerry pour lui annoncer qu’elle a enfin tout avoué à son mari. Jerry ne comprend pas pourquoi maintenant… Claude Perron et Roschdy Zem dans "Trahisons" (Stéphane Brion) On assiste dans un décor unique, tour à tour terrain de squash, bistrot, garçonnière ou galerie d’art à une remontée de dix ans dans le temps. Un rembobinage mené comme une enquête, qui ajoute autant de zones d’ombres que de pièces au puzzle, car chacun dans ce trio est une énigme pour les deux autres : qui trahit qui ? "Trahisons", mis en scène et avec Michel Fau (Stéphane Brion) Qui aime qui ? Ainsi c’est Jerry (Roschdy Zem qui fait ses premiers pas au théâtre) qui s’estime floué lorsqu’il réalise que Robert, son ami, connaissait sa liaison avec sa femme, du coup le flegme de Robert le hérisse. Robert, lui, est aussi fataliste qu’ambigu. L’acceptation de la trahison de sa femme peut laisser penser à de l’indifférence pour elle, mais aussi que c’est de Jerry qu’il est épris. C’est en tout cas à cette hypothèse que nous conduit l’interprétation de Michel Fau. "Trahisons" d'Harold Pinter, mis en scène par Michel Fau (Stéphane Brion) Quant à Claude Perron, elle est une Emma a priori lisse qui joue un peu à la poupée sans sentiment. Mais, peu à peu, la comédienne met dans son jeu une étrangeté déstabilisante, oscillant entre froideur et passion pour parvenir à exister dans une pièce qui se révèle assez misogyne, sans qu’on sache si on doit cette misogynie à Pinter lui-même, ou à la manière dont les deux comédiens la font évoluer. Roschdy Zem, Claude Perron et Michel Fau dans "Trahisons" (Stéphane Brion) Un manque de vachardise A ce jeu, cependant, Roschdy Zem en Jerry manque un peu de cynisme et de perversité. Il est vrai qu’on a connu le metteur en scène Michel Fau plus fou, capable de plus de méchanceté et de vachardise, comme si le statut de prix Nobel d’Harold Pinter l’avait bridé. De sorte que ces "Trahisons", pas désagréables à suivre, ne trahissent pas grand-chose au final. "Trahisons" d'Harold PinterMis en scène de Michel Fau A partir du 24 janvier 2020Théâtre de la Madeleine19 rue de Surène, Paris VIIIe 01 42 65 07 09