Interprète légendaire de "L'Avare" et de "Le roi se meurt", inoubliable au cinéma chez Claude Chabrol ("La Femme infidèle") et FrançoisTruffaut ("La Mariée était en noir"), Michel Bouquet garde à 93 ans un œil malicieux qui tranche avec une voix grave. Il vient d'enregistrer treize Fables de Jean de La Fontaine, sous la direction du metteur en scène Ulysse Di Gregorio (Editions Audiolib), qui l'a choisi pour "sa capacité à être dans un dépouillement".L'adieu à la scèneJe ne peux plus y revenir. Je suis fatigué, il faut beaucoup de force... pour parler avec des mots qui ne sont pas les siens, de rendre tout ça vrai. Maintenant, j'ai besoin d'une sorte d'intimité, de dire des dernières paroles qui me sont dictées par le fabuliste, ce délivreur de rêves.Regard sur une carrière exceptionnelleJ'ai fait ce que j'ai pu, comme j'ai pu, et je ne me suis pas trop posé de questions. J'ai fait mon bonhomme de chemin mais sans aucune prétention intellectuelle.Le choix d’un rôle C'est pas le personnage, c'est la parole. Est-ce que la parole est valable. Cette question, on peut se la poser pendant toute une vie.Théâtre et cinémaJe n'ai pas eu de préférence car les deux choses sont très différentes mais elles ont la même valeur. Chabrol, Truffaut, le cinéma m'a beaucoup impressionné. Le rôle de "Renoir" (dans le film de Gilles Bourdos de 2013, ndlr) est un de ceux qui m'ont le plus touché dans ma vie. Au théâtre, la personnalité de l'auteur est tellement majestueuse, que ce soit Pinter ou Molière, qu'on ne fait qu'essayer de porter la parole le plus docilement possible. C'est l'oubli de soi qui est le plus important.Le rôle de l’acteurC'est un service. L'acteur n'est pas si important à ses propres yeux que le public ne le croit. L'humilité est sacrée pour l'acteur. Je prépare un rôle pendant six mois et quand le moment de le jouer arrive, je me fais tout petit et je me dis "j'ai fait ce que j'ai pu".Les débuts sur scèneC'était au Théâtre Chaillot, à 17 ans. J'étais dans un costume de Robespierre; j'avais le sentiment que c'était vrai, que J'ETAIS Robespierre. Ça me provoquait des fous rires intérieurs. C'était mes premières sensations au théâtre. Cette magie du costume qui fait qu'on est délivré de soi et on se connaît mieux soi-même.Premiers souvenirs de spectateur Ma mère m'emmenait à l'Opéra Comique. Je voyais les spectacles après avoir fait la queue toute la journée pour avoir les premières places, pour être de face. A chaque fois que le rideau se levait, il n'y avait plus l'horreur de la guerre, il n'y avait plus les Allemands autour (...) le monde irréel dépassait de très loin le monde réel. Ça a été le meilleur enseignement de ma vie."Des regrets ?Aucun. Je ne peux plus en avoir, puisque je les ai eus tous et ils ont été oubliés.