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"Joueurs, Mao II, Les Noms" : Julien Gosselin invente le spectacle de 10 heures sans entracte, on y était !

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Julien Gosselin invente un nouveau concept, le spectacle de 10 heures sans entracte. Avec une adaptation de trois romans de l’Américain Don DeLillo, qui ont pour fil rouge le terrorisme. La longueur du spectacle et sa radicalité dans l’emploi de la vidéo, nous ont, cette fois, laissés perplexes.

Au deuxième jour du festival, nous voilà donc parti sac au dos et fleur au fusil à la Fabrica, salle ultra moderne en dehors des remparts, découvrir avec appétit le nouveau spectacle fleuve de Julien Gosselin, 31 ans. Des images encore plein la tête de son précédent opus "2666" d’après le chilien Roberto Bolano (12 heures !), qui nous avait vraiment captivé. Déception cette fois, même si le talent de Gosselin éclabousse. Voici ce qu’on n’a pas aimé, et pourquoi on est restés.

Trois romans sans lien particulier, et inégaux

Gosselin l’homme des défis, le passionné de littérature qui parle de notre présent, s’attaque cette fois à trois romans de Don DeLillo : "Joueurs", "Mao II" et "Les Noms". Une sorte de traversée des années 1970 et 1980, qui racontent des vies intimes à l’ombre de la grande Histoire, avec en toile de fond le terrorisme. 

Pas de lien réel entre les trois récits. Les deux premiers retiennent l’attention. Dans "Joueurs", nous voici dans le New York des affaires, au World Trade Center ou au stock Exchange. Pammy et Lyle y travaillent, mais leur couple se délite. Par ennui et par amour pour une jeune activiste, Lyle sombre dans la violence pure. Passant de la défense du libaralisme financier, au plus violent terrorisme d'extrême-gauche.

Dans "Mao II", Brita la journaliste cherche à faire le portrait de Bill Gray, célèbre écrivain en panne d'imagination, qui va accepter (par dégoût de soi ?) de prendre la place d'un otage au Moyen-Orient. dqui vit reclus, sur fond de violence au Moyen-Orient. Jusque-là tout allait bien, on suivait. Le troisième roman, "Les Noms", qui traite des mystères du langage, nous a laissé au bord de la route tant les scènes et les thèmes souvent confus s’entrelacent. Ce qui s’explique aussi par sa durée de 4 heures. Le seul fil qui nous a paru clair : un homme esseulé, séparé de sa femme avec qui il aimerait renouer, se retrouve à rechercher une secte satanique qui choisit ses victimes en se basant sur l’alphabet, dans une région méditerranéenne en plein crise. 
  (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

La radicalité dans l’emploi de la vidéo

Julien Gosselin est un très grand scénographe et metteur en scène ("Les Particules élémentaires" d’après Houellebecq, " 2666" d’après Bolano). Sa marque de fabrique : l’alliance virtuose de la littérature, du théâtre et de la vidéo, soutenus par une musique très présente, composée pour l’occasion et jouée en direct par trois musiciens.

Mais cette fois sa radicalité nous a rebuté. Le spectacle démarre par un film d’une heure et dresse un mur entre les comédiens et le public sur la quasi-totalité des 9 heures suivantes. Le plateau est littéralement transformé en studio de cinéma. Sur scène, des images tournées en direct sont diffusées sur trois écrans. Mais les acteurs sont invisibles, pas de parois de verre, mais un rideau qui les soustrait à notre vue ! Il faudra attendre la dernière demi-heure pour les voir en chair et en os dans une transe collective, parlant dans toutes les langues et nus sous la pluie.
  (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

La naissance sans doute d’un grand réalisateur

Julien Gosselin à travers ces trois romans nous brosse un portrait acide de la société d’aujourd’hui. L’usage de la vidéo est envahissant mais d’une qualité absolument étonnante. On assiste en direct à des scènes qui rappellent autant Godard que le cinéma américain noir et blanc d’après-guerre. Les acteurs souvent filmés en gros plans, sont magnifiés, d’une beauté à couper le souffle. On sent Gosselin nourri par la Nouvelle Vague, par Bergman… Une nouvelle facette de ses multiples talents. 

Notamment lors de cette scène de repas qui réunit durant une escale à Athènes, un groupe d’amis qui travaillent pour des sociétés multinationales américaines. De nouveaux nomades, imprégnés des soubresauts du monde.

Une troupe qui force l’admiration

Les comédiens de la compagnie de Julien Gosselin fascinent par leur précision, leur engagement, donnant en quelques minutes une vraie épaisseur à leur personnage. Nommons entre autres : Adama Diop, Denis Eyriey, Joseph Drouet, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Carine Goron, Caroline Mounier, Victoria Quesnel et bien sûr Frédéric Leidgens. Pour eux on tient jusqu’au bout, on veut les applaudir, tous sont remarquables.
  (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

Un public prêt à la traversée

Et le public me direz-vous ? Le public d’Avignon aime les immersions, la découverte et le partage. Quelques défections bien sûr, il faut dire que les sièges sont raides pour une telle durée ! Mais les spectateurs étaient là, concentrés pendant ce marathon sans entracte ; seuls des intermèdes chantés d’environ un quart d’heure leur permettaient d’aller se désaltérer, toujours accompagnés par des écrans géants disposés à l’extérieur de la salle. Les festivaliers que nous avons sondés, à la fin du 2e roman, étaient plutôt conquis…

Enzo en Terminal L, section théâtre 

« C’est surprenant car c’est un spectacle très long mais fascinant, c’est à la fois poétique et très réaliste sur le monde d’aujourd’hui, sur le terrorisme ». 

Enzo au Festival d'Avignon
 (S.Jouve/Culturebox)
Maïlys 

« C’est très immersif comme mise en scène. Je n’ai pas lu les ouvrages mais au niveau des thématiques c’est dans l’air du temps. Il y a beaucoup d’images qui marquent, comme ce couple filmé dans l’herbe à l’extérieur. Parfois c’est un peu lourd comme dispositif. 10 heures non-stop, c’est une expérience, mais on partage une journée avec les gens, on tisse des liens ». 


Françoise et André, festivaliers fidèles, vivent toute l’année près d’Avignon :

« J’aime l’atmosphère, la scénographie géniale, les acteurs », nous confie Françoise.

« On retrouve le style de DeLillo tout en fragments, en temps et lieux différents. Le fait de ne pas tout voir est intéressant, surtout quand on comprend que tout est filmé en direct. La mise en scène est extraordinaire, sur le plan technique, esthétique… Ce n’est pas long finalement", glisse André dans un sourire. 

Françoise et André, fans du Festival d'Avignon
 (S.Jouve/Culturebox)

Mais il nous restait les quatre heures des "Noms", le troisième roman, et on l’avoue on n’a pas pu retrouver nos spectateurs. Il était déjà 1 heure du matin et nous tous, assommés, ne rêvions que de retourner chez nous. 



A la rentrée "Joueurs, Mao II, Les Noms" d'après Don DeLillo sera joué en trois parties au Théâtre de l'Odéon.

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