"Eldorado Terezin" : la pièce de théâtre écrite par un enfant dans un camp nazi présentée à Colmar
De l'humour pour dénoncer l'horreur... C'est le seul et unique moyen qu'un jeune prisonnier du ghetto de Terezín avait trouvé pour faire rire ses camarades de camp. Il s'appelle Hanuš Hachenburg, il a treize ans, il est juif comme les 15.000 autres enfants internés et son texte écrit clandestinement démontre avec force et intelligence l'atrocité dont a été capable le régime nazi.
La chercheuse et metteur en scène Claire Audhuy a exhumé miraculeusement la courte pièce lors de ses travaux de thèse. Emue par l'histoire et la découverte, elle décide d'adapter le texte au théâtre avec les indications du jeune dramaturge. "On a besoin d'un fantôme" devient "Eldorado Terezín", une courte pièce de théâtre documentaire où les marionnettes prennent le pouvoir contre un dictateur.
Reportage : N. Ly / N. Meyer / X. Châtel
Quatre représentations sont programmées à la Comédie de l'Est à Colmar du 7 au 11 novembre, puis le spectacle partira en tournée avec un passage dans l'ancien camp de Natzweiler-Struthof.
La grande supercherie faite à la Croix-Rouge
"Eldorado Terezín" s'appuie sur un moment très précis de la Seconde Guerre. En juin 1944 une délégation de la Croix-Rouge annonce sa volonté de visiter le ghetto. A l'arrivée de la délégation, le camp est impeccable, les murs fraichement repeints et les "pensionnaires" sont tous en excellente forme. Toute preuve de torture ou de maltraitance a été savamment dissimulée par les soldats nazis. "J'ai retrouvé une ancienne déportée qui se souvient avoir été obligée d'appeler le commandant SS Karl Rahm 'Oncle Rahm' !" rapporte la metteur en scène Claire Audhuy. Le ghetto deTerezín devait être représentatif de l'ensemble du système concentrationnaire nazi, devenant même "l'Eldorado" des juifs d'Europe. En quittant les lieux, la commission de la Croix-Rouge n'y a vu que du feu, la propagande fait son œuvre sur l'opinion internationale et les horreurs ont pu reprendre comme avant.Bienvenue à Terezín, le nouvel Eldorado juif offert par le Führer lui-même ! Ici, on rit, on
« Eldorado Terezín »
chante, on danse et on mange même des sardines portugaises !
Faire rire malgré l'horreur
La grande intelligence du jeune Hanuš Hachenburg est d'avoir, malgré la peur et l'enfermement, été capable de sentir la grande manipulation du régime nazi. Sur scène, on fait la connaissance du roi "Analphabète Gueule Ier" le bien-nommé. Ce dernier veut asseoir son pouvoir par tous les moyens et surtout les plus atroces. Le tyran a l’idée de terroriser le peuple en déclarant que les ossements des personnes âgées de plus de soixante ans seront désormais collectés pour la création d’un fantôme d'État d'où le titre original "On a besoin d’un fantôme". Les Saucissons Brutaux, qui constituent la garde rapprochée, ont en charge de récupérer les ossements dans des centres de ramassage.Le talent du jeune auteur est de démontrer avec finesse et humour les manipulations et les petites lâchetés du fonctionnement concentrationnaire nazi. "Ce qui est impressionnant c'est que ça a été écrit par un enfant et qu'il utilise l'humour pour dénoncer tout ça, il veut faire rire ses camarades de ce qui les traumatise et de ce qui les attend", précise encore la chercheuse spécialisée dans le théâtre des situations extrêmes.
Ne jamais oublier l'horreur
Hanuš Hachenburg est à la fois visionnaire et terriblement lucide de ce qui se prépare, il décide d'en faire une farce glaçante et compulse toutes ses notes dans des carnets. Cette farce rappelle qu’il ne faut jamais oublier de rire pour conjurer la peur. Le jeune poète est déporté et assassiné par les nazis à Birkenau en juillet 1944. Son texte a survécu il a été traduit en français et édité à 1 500 exemplaires grâce à Claire Audhuy et à la compagnie Rodéo d’âme. Plus de 70 ans après, les marionnettes d'Eldorado Terezin racontent l'inoubliable à travers les contrées françaises et suisses.Dates de la tournée d'Eldorado Terezin
01. & 02.12.17 : Espace 110, Illzach
08.12. : Hénin-Beaumont, à l’occasion de la remise du prix d’Humour de Résistance (version
poche de la pièce - durée 20 min)
11.— 21.01.18 : Théâtre de Marionnettes de Genève
23.— 27.01.18 : Espace K, Strasbourg
22.— 23.03.18 : Le PréO, Oberhausbergen
23.— 26.08.18 : Ancien camp de Natzweiler-Struthof, sous chapiteau
Les dessous de Terezin
A Terezin les arts étaient d’abord tolérés, puis encouragés quand il fut clair pour les nazis qu’ils pourraient transformer la forteresse en instrument de propagande, en y accueillant notamment les « Prominenten », intellectuels, peintres, écrivains et musiciens de renom à Prague, à Vienne ou en Allemagne. Un leurre donc, mais qui a pu servir les intéressés tant on y a créé, répété et produit, difficilement, certes, dans des caves, des greniers, ou dans un ancien gymnase servant de théâtre et eu le sentiment d’exister et donc de résister. Entre le 24 novembre 1941 et la libération du ghetto le 5 mai 1945, 139 654 personnes ont été incarcérées dans le camp de Terezin. A une heure de route de Prague, 33 419 prisonniers y sont morts, 86 934 ont été déportés vers les camps d'extermination, notamment vers les chambres à gaz d'Auschwitz, 17 320 prisonniers s'en sortirent vivants, 1 000 des 15 000 enfants détenus à Terezin, à un moment ou à un autre, survécurent.
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