"Artefact" : Joris Mathieu bouscule les codes du travail et remplace les comédiens par des robots
Peut-on imaginer sérieusement que les objets se servent de nous pour se reproduire et qu’ils nourrissent le projet de dominer les humains ? Que reste-t-il de l'Homme quand la machine prend sa place ? C'est à ces questions à la fois philosophiques et sociétales que le metteur en scène lyonnais Joris Mathieu de la compagnie Haut et Court tente de répondre dans son installation-spectacle, "Artefact".
Présenté sur la scène du théâtre des Ateliers de Lyon pour un public à partir de 14 ans, le dispositif déambulatoire en trois étapes est totalement immersif. Le jour de notre venue, notre visite se déroule avec un groupe de lycéens en Bac Pro.
Quand le robot devient comédien
Casque sur les oreilles, nous nous installons devant le premier module pour un voyage au pays des robots de 45 minutes. Mais rien à voir avec une chaine de fabrication industrielle ou une démonstration de petits humanoïdes agités.Guidé par la voix suave d'une Intelligence Artificielle, c'est une petite révolution des genres qui s'opère. Car cette fameuse "IA" (déjà rencontrée dans le film "Her" avec la voix de Scarlett Johansson), veut trouver sa place sur la scène artistique. Atteindre le sommet et jouer Shakespeare ! Rien de moins ! Joris Mathieu nous révèle à ce propos avoir testé plusieurs "Chatbot", ces fameux petits logiciels de communication. "Et puis un jour à force de tenter différents outils, il y en a un qui me dit aimer le théâtre de Shakespeare !". Une aubaine pour le metteur en scène qui place la croyance au centre de l’acte théâtral.
Le théâtre dans le théâtre
Dans l'agora d'Artefact, le robot prend la place du créateur. Tour à tour comédien, metteur en scène ou poète, c'est un bras robotique ou une imprimante 3D qui crée sous nos yeux. La voix off continue de nous accompagner, nous donne sa vision de la création, nous émeut et parfois même, nous fait rire. Car il arrive que le robot bug, se trompe de mot ou soit un peu à côté de la plaque. Plongés dans l'histoire, les spectateurs attentifs à l'action continuent de percevoir le monde extérieur, les autres et l'espace.Du simulacre à la magie
Dans "Artefact", Joris Mathieu nous emmène dans les méandres de la création artistique quasi ancestrale et hyper technologique. Deux petits castelets font office de scène qui accueillent l'imprimante 3 D. Sorte de work in progress, de théâtre dans le théâtre, c'est ici que l'intrigue prend forme. Des personnages virtuels jouent leur rôle (d'une comédie facile, car chez les robots "c'est ce qui marche"...), un bras robotique offre une chorégraphie alliant la précision et l'élégance et le décor prend forme comme par magie. Car la force des robots, c'est aussi de nous faire rêver.Tout ce dispositif "Low Tech", ce théâtre d'ombre artisanal, cette ambiance rétro futuriste évoque les codes de la perception narrative commune. De Shakespeare à Mélies, de Calderón à Frankenstein, Joris Mathieu nous convie à une réflexion qui pose la question de la place du comédien dans le futur. Et quand on lui demande de savoir s'il s'agit encore de spectacle vivant, le metteur en scène hésite un peu et répond : "c'est un 'Artefact' de théâtre".
Le théâtre comme acte politique
A la croisée de la littérature, des nouvelles technologies, des sciences et des sciences humaines, "Artefact" produit un effet unique sur chaque spectateur. "Je me suis senti super mal à l'aise, ça fait un peu peur même", rapporte un lycéen lors de l'échange avec l'équipe artistique. Il faut dire que le théâtre de Joris Mathieu interroge nos zones intimes, nous confronte à nos peurs, à la mort, éveille le plaisir ou la beauté mais se place toujours comme un acte de résistance."Créer, évoluer, progresser avec toujours la volonté de transformer les matières premières naturelles en objets manufacturés et reproductibles", ce postulat de départ fait réagir les jeunes générations. Une lycéenne avoue avoir un peu peur du travail tel qu'il est aujourd'hui. Une autre se dit optimiste et pense que l'être humain va s'adapter aux nouvelles technologies. Pari gagné pour le metteur en scène pour qui le débat de société autour du revenu universel, de la valeur du travail et de la disparition de certains emplois est au centre des questions essentielles de nos sociétés qui ont construit leur modèle via le capitalisme et le communisme.
Comment se projette-t-on dans un univers où l'homme ne produit plus par son travail du sens de sa vie ?"
A la fin de la déambulation, Joris Mathieu et un comédien au chômage (un robot lui a pris son rôle !), échangent systématiquement avec les spectateurs. "C'est important de revenir au réel et de connaître l'expérience que les gens ont vécu à travers cette installation".
Le théâtre apparaît comme le révélateur de la condition humaine : Sommes-nous acteurs ou spectateurs du monde qui se construit ?
Artefact en tournée :
- Du 25 au 28 avril 2017 Le Merlan, Scène nationale de Marseille
- Les 4 et 5 mai 2017Le Lux, Scène nationale de Valence
- Du 11 au 18 mai 2017 Le Grand R, Scène nationale de La Roche-Sur-Yon
- Du 13-26 novembre au festival Micromonde de Lyon
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