"Perdues dans Stockholm" de Pierre Notte : trois filles paumées, dont un garçon
Un jeune homme imberbe, aux muscles fins, surgit en courant, se déshabille derrière un paravent, se maquille, se rhabille en fille, enfile des escarpins à demi-talons. Il s’agite dans tous les sens, s’absente un instant et revient, traînant un corps prisonnier.
Il s’appelle Lulu, il vient d’enlever une actrice au festival de Deauville, « la star des stars »: il va demander une rançon pour se payer l’opération qui fera de lui la fille qu’il s’est toujours senti être. Entre sa tante, qui l’a élevée. C’est la sœur de sa mère et la femme de monsieur Victor : « Ta mère était une pute : beaucoup de talent. Mais un jour Victor a cessé d’être mon mari pour devenir son meilleur client ».
Comment les ombres de Victor et de la mère de Lulu continuent de planer sur la veuve et l’orphelin, comment la soi-disant star va se révéler une actrice de petit format, « de celles qu’on ne remarque jamais », comment, squattant un « mobil-home témoin », les trois vont réunir leurs pauvres rêves (la tante veut ouvrir une « école de geishas européenne »), comment elles vont comploter contre la présidente du Conseil Régional, se déguiser elles-mêmes en geishas, franchir la Manche ou la Baltique jusqu’à se perdre (ou non) dans Stockholm (voire pousser jusqu’à Pékin), comment Lulu ne sera jamais aussi femme qu’en « retrouvant l’homme qui est en lui », comment…
L’émotion jaillit au détour d’une phrase, le burlesque dans l’opposition entre les aspirations hautes des protagonistes et la trivialité de leurs actions. Thème intéressant en soi : pour atteindre les idéaux qu’on s’est fixé, la nécessité qu’on a d’en passer par des actes vils ou des sentiments médiocres. On rit devant cette humanité touchante et cabossée par la vie, mais qui est sans aigreur. On rit, oui, mais moins que prévu. On est ému, mais moins qu’on espérait.
Car ce que je vous ai décrit est la pièce idéale que Pierre Notte n’a pas tout à fait écrite et qu’il n’a pas tout à fait montée. Des redites dans la construction (la tante et son lourd secret), une absence de progression de l’oeuvre qui fonctionne très (trop) vite comme une suite de tableaux inégaux (la séquence du minigolf est interminable alors que le voyage en pédalo vers l’Angleterre ou… vers Stockholm fait un très joli sketch)
Pas assez de travail non plus sur la scansion de phrases longues et complexes qui oblige les acteurs (surtout les deux femmes) à les dire à toute vitesse de sorte qu’on en perd souvent la saveur. Si Notte persiste à faire ses propres mises en scène il devrait davantage se concentrer justement sur la direction d’acteurs : Brice Hillairet compose un personnage charmant et aérien de garçon-fille (qui pourrait vite sombrer dans la caricature), Juliette Coulon (l’actrice) et Silvie Laguna (la tante) sont plus inégales, faute d’une caractérisation ferme imposée à leurs personnages.
Enfin le décor minimaliste (des malles dont nos amis sortent les accessoires dont ils ont besoin) ne serait pas gênant en soi mais Dieu que ces bagages sont laids, que ce dépouillement, dans cette salle sous les combles, a des airs de pauvreté, voire de patronage! Jolis intermèdes musicaux (de Pierre Notte encore !) qui lorgne délibérément vers les tandems Demy-Legrand ou Alex Beaupain-Christophe Honoré. Mais cette légèreté voulue ajoute encore au côté oubliable d’un spectacle qui confond un peu trop volonté de ne pas se prendre au sérieux et absence d’ambition.
« Perdues dans Stockholm » de Pierre Notte, au Théâtre du Rond-Point
Jusqu’au 29 juin
2 bis avenue Franklin Roosevelt
Tél : 01 44 95 98 21
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.