"Omar-Jo, son manège à lui" à la Comédie-Française : quand la guerre au Liban résonne dramatiquement avec la poésie d'Andrée Chedid

Il est des programmations théâtrales qui n'imaginaient pas se confronter à l'actualité du monde avec autant de force et de drame. "Omar-Jo, son manège à lui", d'après un roman d'Andrée Chedid, à la Comédie-Française, connaît ce sort.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
"Omar-Jo, son manège à lui" d'après Andrée Chedid, mise en scène par Anne Kessler. (VINCENT PONTET)

La poésie et la langue d'Andrée Chedid, la mise en scène astucieuse et émouvante d'Anne Kessler et le jeu sobre et impeccable des comédiens de la Comédie-Française font d'Omar-Jo, son manège à lui, un spectacle à voir tant il résonne en ces temps de guerre au Liban. Au Studio de la Comédie-Française jusqu'au 3 novembre 2024.

L'histoire : Sur le plateau, ils sont trois : un comédien, une réalisatrice et un ingénieur du son. Nous sommes dans un studio d'enregistrement de la radio. Le public va assister à la réalisation d'un podcast sur "Les Enfants de la guerre, épisode 5". L'histoire d'Omar, enfant martyr du Liban en 1975, écrit par Andrée Chedid.

L'histoire d'Omar-Jo est celle d'un gamin heureux, jusqu'au jour où… Il dessine, ses crayons de couleurs sont sa joie, Beyrouth est baigné de la lumière de la Méditerranée. Quand ses parents lui proposent de lui offrir une glace, il saute de joie et demande : "Un grand cornet au chocolat". Dans la minute qui suit, une voiture piégée explose au bas de l'immeuble, tuant son père et sa mère.

Comme le murmure en larmes le grand-père fouillant les décombres : "Je ne chanterai plus, je ne danserai plus." Omar-Jo rejoint Paris pour être soigné et devient la coqueluche d'un vieux manège parisien. Entre les chevaux de bois, il danse, mime Charlot et amuse parents et enfants. Maxime le propriétaire déprimé et forain désabusé reprend vie avec ce gosse qui malgré son drame est lumineux.

La beauté de l'espoir

Cette histoire d'enfant martyr de la guerre qui s'installe dans son manège à lui et redonne vie à son propriétaire se suffirait à elle-même. L'écriture d'Andrée Chedid emporte le spectateur d'un Beyrouth blessé et tragique vers un Paris de fête et d'enfance retrouvée. Omar a perdu un bras, il a le visage balafré d'un éclat de bombe, mais il jongle avec les mots et les sourires pour animer ce manège où il a trouvé refuge. Comme le dit à Franceinfo Culture Anne Kessler, la metteuse en scène, "oui, il faut qu'on sorte du théâtre avec l'espoir, avec l'espoir que cet enfant qu'a inventé Andrée Chedid, c'est un enfant qui guérit. Celui qui souffre, il souffre, il sait ce que c'est et sa chance est qu'il sait ce que c'est. Il arrive à soigner et à apaiser et à transformer ça en lumière".

"Les enfants, ils n'ont rien à voir avec la guerre parce qu'ils ne détestent personne", dit sur scène Adèle, le personnage de la réalisatrice du podcast.

L'actualité comme un boomerang tragique

Pourtant, il est impossible tout le long de la représentation de ne pas penser au Liban d'aujourd'hui et à ses blessures. Quand l'un des personnages égrène les dates des guerres du Liban... 1975, 1982, 1990, la liste est déjà si longue, et 2024 n'est pas encore cité. Cette création a été décidée il y a de longs mois, Anne Kessler sait que l'actualité déborde sur le théâtre : "C'est vrai, bien sûr que je ne m'y attendais pas. Vous avez raison, c'était programmé bien en avance, donc je suis obligée de rester muette face à la réalité."

Pour que la littérature et le théâtre l'emportent, quand même, elle rajoute : "Ça me désespère, car Omar-Jo parle de cette guerre qui a commencé en 1975, et on espère toujours que ça va se pacifier. Le roman d'Andrée Chedid va dans ce sens-là, elle veut nous dire que ça va aller vers la lumière, quand même. Et là, on est obligé de constater que non. Donc c'est désespérant. Encore une fois, grâce à la poésie, à la littérature, au journalisme, il faut quand même créer de l'espérance et de l'espoir. Même s'il y a des moments, c'est plus ou moins facile."

Avec "Omar-Jo, son manège à lui", le théâtre prouve qu'il peut être aux côtés de la parole des victimes et le texte présente Coppola et son Apocalypse Now, Picasso et son Guernica, Andrée Chedid et son Omar-Jo, son manège à lui, comme des témoignages précieux à cette curieuse et absurde question "pourquoi les guerres continuent ?"

La fiche

Mise en scène : Anne Kessler
Dramaturgie : Guy Zilberstein
Scénographie : Anne Kessler et Guy Zilberstein

Distribution : Claire de La Rüe du Can, Dominique Parent et Baptiste Chabauty

"L'Enfant multiple" d'Andrée Chedid est publié par les éditions Flammarion.

Affiche d'"Omar-Jo, son manège à lui", d'après le livre "L'Enfant multiple" d'Andrée Chedid. (DR)

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