"Noël, le grand déballage" : quand une douce nuit tourne au mélodrame
La dinde est dans le four, le foie gras sur les toasts, le champagne va couler à flots. Les cadeaux sont au pied du sapin, il ne manque plus que Tino Rossi pour chanter "Douce Nuit". Alors fermez les yeux et entendez les joyeux clochers carillonnant à la voûte des cieux. Sous le toit des chaumières on a le cœur bien heureux… ou pas !
Avec cette pièce, Romaric Poirier s’est inspiré de l’univers des films américains des années 50. Ces beaux films en technicolor où la magie de Noël se brise sous l’effet d’un drame. Le décor de Sébastien Guindon et les costumes de Pierrick Neuhaard expriment parfaitement la volonté de l’auteur, le mélodrame va cette fois se jouer sur scène, une première.
Un pour six et six pour un
L’histoire est intemporelle et Romaric Poirier l’a écrite en imaginant les six personnages comme six facettes de sa propre personnalité. "Quand j’écris, je joue les personnages et je pense à ce que je voudrais défendre et raconter. J’aime le concret, le parler de tous les jours, j’ai voulu me rapprocher un maximum de chacun d’entre nous, façonner des caractères qui pourrait exister". Et le spectateur va naturellement s’identifier aux différents personnages. Les dialogues sont parfaitement ciselés, la mise en scène fluide et rythmée, les répliquent sonnent justes. Dans les rires, nombreux, comme dans les larmes.
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"Noël, le grand déballage", c'est donc l'histoire de six personnages qui ne veulent qu'une chose : vivre dans le regard de l'autre car ils n'arrivent pas à exister dans leur propre regard. Il y a du Courteline là -dedans, du Pagnol et indiscutablement la patte du duo Jaoui-Bacri. C'est une histoire triste et une histoire drôle. C'est une histoire de rencontre. Des autres et de soi. C'est caustique et touchant. On plonge dans l'intime pour atteindre l'universel.
Comme une Ă©vidence
Tous ces enjeux, il appartient aux comédiens de les faire naître le plus limpidement et subtilement possible. Et Romaric Poirier ne les a pas choisis au hasard. Le premier à faire partie de l’aventure c’est Victor Pontecorvo. L’amitié qui lie les deux hommes est ancienne et gage de confiance bien sûr, mais la proposition est surtout une belle opportunité. Victor, alias David, c’est le pivot du drame. Chacune de ses interventions vient rompre la comédie. "J’espère que cette pièce fera partie d’un tournant de ma carrière, celui de faire d’autres personnages, d’assumer une part de féminité chez moi" avoue l’acteur qui jouait l’accusé dans "L’Hermine" de Christian Vincent aux côtés de Fabrice Luchini et par ailleurs également connu du grand public notamment pour ses rôles dans les séries télévisées "Braquo" ou "Engrenage".
David arrive à ce réveillon bien peu ordinaire accompagné de Karine. Dans la peau du personnage :  Anna Barbini. "J’ai très vite voulu défendre ce personnage car dans l’écriture de Romaric Poirier, chaque personnage est humain et avance, masqué, avec ses fêlures en dessous. Comme moi, Karine est dans cette séduction constante qui lui permet de nourrir son ego fissuré, ce besoin de reconnaissance et cette solitude au final. En revanche je ne pique pas moi !"
Voilà 5 ans qu’Anna Barbini n’était pas remontée sur les planches mais elle a immédiatement accepté la proposition de son ami Charles Tesnière qui joue merveilleusement Antoine.
Entre courts métrages, scènes de théâtre et petit écran, publicités ou séries télé, son visage ne vous sera certainement pas inconnu. Cette saison il est Rodrigue, le Porte-Parole de José, dans "Scènes de Ménage" sur M6. Si drôle et attachant, peut-être en apparence le moins torturé de ce Noël dont il est l’hôte avec sa femme Sophie.
Sophie, alias la talentueuse Leilani Lemmet. Un peu collet monté, un peu trop maniaque, un peu beaucoup hystérique quand la fête dérape, mais tellement juste quand elle passe de la comédie au drame, dans l’interprétation de cette femme brisée par la mort de son enfant. "La pièce m’a plu par la profondeur des personnages. Ils ne sont pas caricaturaux. Ils ont l’air simples au départ mais la complexité de leur personnalité se dévoile petit à petit. Et il y a un truc très drôle avec le rôle de Sophie : ma mère est venue voir la pièce et m’a dit "mais l’auteur me connait, non ?". Comme Sophie, à chaque réunion de famille elle distribue un texte de chanson à interpréter à l’unisson ! Donc il n’est pas impossible que je m’inspire d’elle !"
Avec Anne-Laure Morin, c’est encore une rencontre qui porte Romaric Poirier à la choisir pour le rôle de Christelle.
Actrice et comĂ©dienne, Ă la tĂ©lĂ©vision, au cinĂ©ma, sur scène, elle aurait parfaitement pu interprĂ©ter son personnage dans la langue de Shakespeare sans accent français, mais pas cette fois. Dans ce grand dĂ©ballage elle exprime tout en retenue la sensibilitĂ© de la future Ă©pouse de RĂ©mi.Â
Rémi, c’est Arnaud Agnel. Il forme avec David (Victor Pontecorvo) le duo du ressort mélodramatique de la pièce. Les deux comédiens au parcours si différents se connaissent depuis quatre ans. Une rencontre au Festival de Cannes, comme un coup de foudre, et ils deviennent inséparables. Mais quand l’un se fait un nom au cinéma et à la télévision, l’autre choisit la scène, biberonné aux grands auteurs et au théâtre public.
Travailler sans repères
Après avoir longtemps hésité, Arnaud Agnel finit par répondre aux appels de son ami et vient s’installer à Paris. Et s’il hésite encore quand Victor lui propose de jouer dans la création de Romaric Poirier, c’est parce qu’il veut donner le meilleur au public. "Suis-je au centre de ce que j'estime être important dans une vie d'acteur pour aller jouer au Clavel une pièce que je considère - à tort - comme légère ? Eh bien oui. Ne fermant la porte à rien, je l'ouvre à tout.  Là je dois jouer avec la plus grande sincérité possible, être dans l'émotion et pas dans l'émotionnel, pour que le public ressente le vertige du personnage et que, par écho, ça remue son propre vertige, et ça, c'est un défi magnifique pour un acteur. Ma seule envie, c'est que le public ait le cœur aussi déchiré que mon personnage! De cette expérience, j'apprendrai, j'en suis certain : revenir aux incertitudes, quitter les grands théâtres équipés pour répéter dans une cave minuscule. Découvrir des univers qui ne sont pas les miens. Etre modeste. Travailler sans repère ! "
Travailler dans la bienveillance
Romaric Poirier dont l’actualité prochaine est la préparation de son premier long métrage avec, en tête d’affiche, Elsa Zylberstein, est un auteur et un metteur en scène ouvert au dialogue, à l'écoute et à la réception des propositions des acteurs. Il n'hésite pas à retoucher son texte et instaure un climat de confiance autour de lui. "J’aime travailler dans la bienveillance. Je pense que si le capitaine du bateau ou l’entraîneur du club sait ce qu’il veut tout en restant attentionné, alors la magie opère. J’ai une équipe de comédiens qui s’apprécie beaucoup et qui aime jouer ensemble, ça se voit, non ?".Celui qui vient de terminer une aventure de six ans et plus de 450 représentations avec le spectacle "La belle au bois de Chicago" co-écrit avec Géraldine Vandercammen, a cette fois fait appel au financement participatif pour monter son "Noël". Un an et demi après les premières lignes, le projet prend vie. Sur la scène du Théâtre Clavel, le public, qu’il soit contributeur ou simple spectateur, constate avec bonheur le plaisir de jouer des comédiens. Comme une troupe qui aurait déjà partagé beaucoup plus que cette histoire.
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