"Monument 0.10 : The Living Monument", une pièce chorégraphique spectaculaire de la hongroise Eszter Salamon, transporte dans une autre dimension
Un bruit sourd tout droit venu du fond des âges envahi la salle. Une faible lumière apparaît sur scène dévoilant des formes humanoïdes noires. Elles scintillent au milieu de tissus sombres qui dégoulinent sur le sol. Ces créatures sont figées dans le temps comme les habitants de Pompéi, emprisonnés en plein mouvement sous la lave. Ils bougent doucement, sortant progressivement de leur position initiale. Impossible de distinguer leurs visages couverts de tissus lamés, de cagoules en dentelle ou de masques.
Ces êtres sont les interprètes de Carte Blanche, la compagnie nationale norvégienne de danse contemporaine. Ils forment un nouveau "monument" de la série créée il y a dix ans par la chorégraphe hongroise Eszter Salamon, présente pour la troisième fois au Festival d'Automne.
Corps-matières
Monument 0.10 : The Living Monument est une pièce chorégraphique immersive entre danse et théâtre. Elle laisse la place à une ambiance extraterrestre, voire futuriste, sans pour autant tomber dans la science-fiction. Le corps se mêle aux différentes matières des costumes, ne faisant qu’un avec elles. Une dizaine de tableaux se succèdent avec leur ambiance singulière, leurs matières et leurs costumes parfaitement accordés à la couleur de l’environnement. Le public voit se créer sous ses yeux des œuvres d’art vivantes, des tableaux d’un autre monde, d’un autre temps.
Les interactions entre les performeurs ne sont plus humaines. Les corps se croisent sans se toucher, bougeant au ralenti toute la pièce, comme prisonniers d’une faille spatio-temporelle. Les créatures peinent à se lever et avancer au milieu des bruissements sourds qui font vibrer la salle et les corps. Les drapés noirs disparaissent doucement pour en dévoiler d’autres. Bleus, dorés, argentés, ou rouges, à chaque couleur son esthétique, ses costumes et sa mise en scène.
Rêverie
De cette performance de plus de deux heures, on en ressort impressionné de la puissance d’un costume et de ce qu’on peut faire avec du tissu. Mais la chorégraphe développe avant tout une dramaturgie et absolument pas "un déploiement de costumes, une sorte de fashion show décalé". Son spectacle laisse libre l’interprétation, invite à la rêverie et à la réflexion.
D’un coup tout devient rouge. Une reine majestueuse avance accompagnée de deux suivants, gants de boxe aux mains. Comme la reine de cœur du film Alice au Pays des Merveilles, elle regarde deux créatures en combinaison rouge s’enlacer. Ils s’embrassent tissu contre tissu, comme dans le célèbre tableau Les Amants de René Magritte.
Les mouvements abstraits s’inscrivent dans des "monochromes dynamiques" comme les qualifie Eszter Salamon, des zones de couleur où différentes matières et textures produisent des "corps-matières". Un spectacle qui en met plein les yeux à ne surtout pas manquer.
"Monument 0.10 : The Living Monument" d'Eszter Salamon jusqu'au 14 octobre au Théâtre des Amandiers à Nanterre
En tournée en Allemagne, et en Norvège
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