"L’Heureux stratagème" de Marivaux : Sylvie Testud brûle les planches en Comtesse manipulatrice
Sylvie Testud endosse avec panache le rôle principal de "L’Heureux stratagème" de Marivaux, dans une mise en scène intelligente de Ladislas Chollat au Théâtre Edouard VII.
La Comtesse (Sylvie Testud), lassée de Dorante, s’éprend du Chevalier Damis (Jérôme Robart), un beau gascon un peu beauf. La Marquise (Suzanne Clément), délaissée par son amant le Chevalier, propose à Dorante (Eric Elmosnino) de feindre de s’aimer pour raviver la flamme des infidèles.
Deux versions
Hasard des programmations, à six mois d’intervalle cette pièce rarement jouée de Marivaux est à l’affiche d’un théâtre privé après l’avoir été d’un théâtre public (au Vieux-Colombier dans une mise en scène d’Emmanuel Daumas). On n’a pas boudé notre plaisir de voir ces deux versions très différentes qui, toutes deux, font mouche. Mais revenons à celle qui nous occupe.
Piquante désinvolture
C’est une belle idée d’avoir confié le rôle central à Sylvie Testud, elle donne du sel et une piquante désinvolture à la Comtesse. Dom Juan au féminin, jalouse de sa liberté, elle manipule son entourage comme de simples marionnettes, sans états d’âme et au gré de son bon plaisir. Marivaux pousse ici très loin le mépris de classe : le sort des valets, leurs amours, la Comtesse s’en moque. Il n’y a là aucune ingénuité, aucune candeur dans le jeu de Sylvie Testud, ce qui ajoute encore à la cruauté du personnage. Le texte, qui n’est pas le plus facile à défendre, semble pour elle une simple formalité.
A ses côtés, Eric Elmosnino en Dorante accablé et inconsolable mais qui saura aussi savourer sa vengeance, et Suzanne Clément, une des actrices fétiches de Xavier Dolan au cinéma, en Marquise rongée par la rancune. Mais aussi bien soient-ils tous trois, ce sont également des acteurs moins connus que l’on découvre, car ils jouent les rôles émouvants des serviteurs : Florent Hill en valet revendicateur et l’émouvante Roxane Duran en Louison, qui sera l’injuste victime des manœuvres des puissants. Quand à Jérôme Robart, il compose une performance désopilante en chevalier Damis, avec un accent du sud et une tchatche très contemporaine.
Des airs de vaudeville
Dans un décor Années folles assez chargé qui n'ajoute rien à l'intrigue, la direction d’acteur de Ladislas Cholet est irréprochable, sa mise en scène enlevée. On perd juste un peu de la musicalité de la langue de Marivaux dans cette version qui tire parfois vers le vaudeville.
Mais on savoure ce portrait de femme rebelle, prise au piège de ses caprices et de ses contradictions, et on se réjouit de voir des acteurs du privé s’approprier de plus en plus souvent (Vincent Dedienne dans Le Jeu de l’amour et du hasard, Les Femmes savantes par le couple Bacri-Jaoui, sans compter les innombrables Tartuffe et Misanthrope ou quelques Shakespeare) ce beau répertoire longtemps réservé au théâtre public.
"L'Heureux stratagème" de Marivaux au Théâtre Edouard VII
A partir du 19 septembre 2019
10 place Edouard VII, Paris IXe
01 47 42 59 92
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