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"Les Téméraires" : l'affaire Dreyfus au théâtre avec Zola et Méliès en farouches dreyfusards

Dreyfus, Zola et Méliès : une affaire célèbre et deux artistes qui prennent parti dans la France divisée de 1894 et un climat d’antisémitisme qui a fait date.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Romain Lagarde, Stéphane Dauch, Sandrine Seubille, Barbara Lamballais, Antoine Guiraud, Armance Galpin, Thibault Sommain, dans "Les Téméraires" de  Julien Delpech et Alexandre Foulon (2023). (GREGROIRE MATZNEFF)

Comédie historique dans une belle reconstitution classique, Les Téméraires de Julien Delpech et Alexandre Foulon prend comme fil rouge la réalisation en 1899 de L’Affaire Dreyfus par Georges Méliès. Filmé à l’occasion du procès de Rennes, cinq ans après la condamnation au bagne de l’Île du Diable du capitaine (1894), le court métrage en cinq épisodes, est le premier film politique du cinéma. Le pionnier cinéaste est du cercle d’Emile Zola, dont l’article J’accuse dans L’Aurore en 1898 déclencha une scission inédite en France jusqu’en 1906. Dreyfusards, ils sont Les Téméraires, mis en scène par Charlotte Matzneff avec inventivité et vivacité, à la Comédie Bastille, à Paris.

Fondus temporels


En 1898, alors que le capitaine Dreyfus a été condamné au bagne pour "haute trahison" quatre ans auparavant, Emile Zola publie dans la presse son célèbre J’accuse pour défendre le militaire dégradé, à la veille de son procès en révision. Contre l’avis de son éditeur, Zola (Romain Lagarde) peaufine son texte qui doit partir immédiatement sous presse, alors que l’affaire divise la France entière. En même temps, Georges Méliès (Stéphane Dauch), qui s’est déjà fait un nom dans le cinéma naissant avec ses productions Star Film, réalise une reconstitution de L’Affaire Deyfus, titre de son film, de onze minutes, exceptionnellement long pour l’époque.

Si Zola et Méliès étaient contemporains, il n’y a aucune trace de leur rencontre, alors qu’ils étaient tous deux dreyfusards et auteurs, chacun dans sa discipline, d’une œuvre politique majeure, écrite et cinématographique. Pour les faire se rencontrer, Julien Delpech et Alexandre Foulon, bien aidés par Charlotte Matzneff à la mise en scène, font glisser la temporalité de l’écrit à l’image animée avec acuité. De multiples tableaux sont comme des fondus enchaînés en suspens, où l’évocation de l'affaire par Zola est matérialisée sur scène par la reconstitution en train d’être filmée par Méliès, sous nos yeux. Magnifique.

Scénographie polymorphe


S’ajoute à l’évocation des faits, celle des affres que traverse Zola avec son éditeur, et dans son ménage adultérin. Sans parler de Méliès et de l’entreprise dans laquelle il s’engage. Un film de onze minutes, c’est une folie ! Et de plus sur Dreyfus ! Le film sera interdit de diffusion en France, alors qu’il est visible peu après le procès en révision de Rennes qui met à mal l’Armée. Même si Dreyfus voyait réitérer sa condamnation, les "circonstances atténuantes" octroyées, un comble pour "haute trahison", traduisent le désaveu de la Grande muette qui l’avait condamné en 1894.

La scénographie polymorphe d’Antoine Milian participe de cette multiplicité dramatique dans une unité de lieu qui synthétise l’époque de la Révolution industrielle. Il nous fait traverser le temps, du bureau de Zola à l’imprimerie, et des cabarets aux studios de Méliès, dans un jeu de lumière magique signé Moïse Hill. Parmi ses inventions, la très belle idée de projeter des rayures de pellicule sur les acteurs jouant devant la caméra du réalisateur. Un fin clin d’œil aux premières caméras qui faisaient office à la fois d’appareil de prise de vue et de projecteur.

L’histoire n’empêche pas l’humour, et la reconstitution de l’affaire Dreyfus par Méliès sur scène lui donne la part belle, lors d’anecdotes de tournage cocasses. La beauté des décors, des costumes de Corinne Rossi, les sept comédiennes et comédiens dans trente rôles, le piano de Mehdi Bourayou, le bonheur visible de la troupe sur scène, et le coup de projecteur donné sur un film peu connu de Méliès, sans parler de la pédagogie du spectacle, font des Téméraires l’une des meilleures surprises de cette riche rentrée théâtrale.

"Les Téméraires"
De Julien Delpech et Alexandre Foulon
Mise en scène : Charlotte Matzneff
Avec : Romain Lagarde (Emile Zola), Stéphane Dauch (Georges Méliès et Charpentier), Sandrine Seubille (Alexandrine Zola), Barbara Lamballais (Jeanne, Edith, journaliste et serveuse anglaise), Antoine Guiraud ou Arnaud Allain (Marcel, Bernard Lazard, Auguste Kestner, Clemenceau, Client bar), Armance Galpin (Eugenie Méliès, Joséphine, journaliste, vendeur de journaux), Thibault Sommain (Alphonse Daudet, Rodays, employé de Clemenceau, juge, vendeur de journaux, serveur, serveur italien, Jean, journaliste)
Du mer. 27 sept. au dim. 31 mars 2024
Mercredi 19h, jeudi 21h, vendredi 19h, samedi 21h et dimanche 17h
Relâche : vendredi 13 octobre 2023
Durée 1h30
Comédie Bastille
5 Rue Nicolas Appert, 75011 Paris
Téléphone : 01 48 07 52 07

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