"Les Rivaux" de Sheridan : délicieux quiproquos amoureux dans l’Angleterre de Jane Austen
Richard Sheridan : c’est un nom du théâtre anglais qu’on ne joue jamais en France. Voici donc l’occasion de le découvrir à Paris à l’"Artistic Théâtre" (ex- Artistic Athévains). "Les Rivaux" est la première pièce d’un jeune homme de 23 ans, brillant dialoguiste et lucide sur la société de son temps.
Dans "Les Rivaux" on parle d’amour, d’argent et de séduction, comme chez Marivaux, comme chez Jane Austen (de vingt ans plus jeune). On parle aussi de la condition des femmes mais aussi des fils, et c’est une des originalités de Sheridan. Les dialogues sont vifs et drôles (excellente traduction de Sylviane Bernard-Gresh et Frédérique Lazarini), il y a de ravissants costumes d’époque empruntés à l’Opéra de Paris et la mise en scène d’Anne-Marie Lazarini est sans temps mort, ce qui est la condition essentielle pour ce genre de texte…
Une pièce de caractères
L’intrigue, c’est le reproche qu’on peut faire à Sheridan, n’a ni la subtilité ni la profondeur de celles de Marivaux. L’histoire est d’ailleurs assez lâche. "Les Rivaux" est davantage une pièce de caractères, qui tourne cependant autour d’un couple, celui de Lydia et Beverley. Lydia, riche héritière (Alix Bénézech, délicieusement exaspérante), est fière d’aimer un soldat sans le sou, Beverley, avec l’idée qu’il saura l’enlever et qu’ils vivront ainsi, dans la campagne, d’amour et d’eau pure.
Elle ne comprend d’ailleurs pas comment sa cousine Julia (Charlotte Durand-Raucher) peut se contenter d’un fiancé aussi ennuyeux que le jaloux Faulkland (Bernard Malaterre), un brave type geignard. Ce qu’elle ignore, c’est que son Beverley (Cédric Colas, bien malgré un petit manque de présence) est un fils à papa qui a saisi le caractère romanesque de sa belle et s’est donné pour la contenter la personnalité qu’elle attend.
Mais la supercherie de Jack-"Beverley" va être découverte, à cause de son tyran de père (Thomas Le Douarec, superbement inquiétant de violence et de morgue, et surtout quand il joue au "moi qui suis l’homme le plus accommodant du monde quand on est d’accord avec mon opinion") et de la tante de Lydia, Mrs Malaprop (en anglais dans le texte mais comprenez "mal à propos") : celle-ci ne parle qu’en commettant cuirs et approximations, la plus réjouissante étant son "Regardez comme ils s’aiment, ces deux tourteaux". Catherine Salviat, retraitée (contre son gré sans doute) de la Comédie-Française, est irrésistible malgré une diction pas toujours nette.
Une savoureuse satire des duels
Gravitent encore autour de ce petit monde quelques oisifs, le hâbleur Sir Lucius (excellent Marc Schapira) persuadé d’être courtisé par la jolie Lucia (alors que c’est la tante Malaprop qui soupire après lui) ou Bob Acres (Philippe Lebas), gentilhomme très lâche, et cela nous vaut une satire des duels, qui étaient encore la plaie des sociétés européennes, dont Sheridan nous montre avec beaucoup d’acuité la frivole imbécillité.
On joindra évidemment à ce panorama le couple de domestiques, à commencer par la fine Lucy (Sylvie Pascaud, charmante), qui "mange à tous les râteliers", faisant croire, par lettre ou de vive voix (mais en confidence), ce que ses patrons ont envie d’entendre, et qui lui vaut rétribution… Le fond de décor, en toile peinte, représente la ville de Bath où se situe l’intrigue, et précisément le fameux "Royal Crescent", ce si bel ensemble architectural en demi-lune qui venait, en 1775, d’être inauguré.
Des éléments autobiographiques
Sheridan avait passé ses premières années d’adulte à Bath où son père, veuf, s’était installé avec ses enfants. Il avait observé la société de cette station thermale à la mode. Mais voici qu’amoureux d’une jeune chanteuse, il l’enleva, s’enfuit en France avec elle pour l’épouser, revint au milieu du scandale, dut affronter lui-même en duel deux rivaux avant que les familles acceptassent enfin "entre les tourteaux" un mariage au grand jour.
On voit que "Les Rivaux" comprend pas mal d’éléments autobiographiques. Mais avec un sens du croquis, une jolie originalité dans les caractères, qui en font le prix. Ainsi, si l’on a parlé de la jalousie de Faulkland, l’amoureux de la cousine, c’est une jalousie étrange et qu’il retourne contre lui-même : que Julia, sa belle, s’amuse en dansant des danses campagnardes avec flamme au lieu du menuet, si distingué et si guindé, et c’est lui-même qui se sent responsable de n’avoir pas su être là pour canaliser les ardeurs encore juvéniles d’une honnête jeune fille…
La pièce fut créée à Londres avec un succès mitigé mais Sheridan la reprit aussitôt et ce fut alors un gros succès. Sur cette lancée il en écrivit six ou sept autres en trois ou quatre ans dont la plus célèbre, "L’école de la médisance". Et puis plus rien car sa passion était la politique. Il fut alors élu député d’Irlande, devint à à peine trente ans ministre des Affaires Etrangères puis ministre du Budget du royaume, et garda son fauteuil de député quasi jusqu’à la fin de sa vie. Deux autres pièces seulement, bien plus tardives, et des dernières années difficiles, sa passion du jeu l’entraînant au bord de la ruine…
Sheridan est enterré près de Dickens et de Kipling
Quand il mourut en 1816, son ami Lord Byron insista pour qu’il fût enterré dans l’abbaye de Westminster et c’est là qu’il repose, dans le "Coin des poètes", près de Dickens et de Kipling, non loin de la statue de Shakespeare. On comprend ainsi combien il compte dans la littérature d’outre-Manche et l’on remercie l’Artistic Théâtre de nous donner l’occasion de le mieux connaître avec ce spectacle qui, malgré ses petits défauts (quelques acteurs moins bons que d’autres), nous propose une très jolie découverte. Comme quoi il y a encore à explorer quand on est un directeur de salle ou un metteur en scène un peu curieux.
"Les Rivaux" de Richard Sheridan
Artistic Théâtre
45 Rue Richard Lenoir, 75011 Paris
Jusqu’au 30 avril
Mardi, 20 heures, mercredi et jeudi, 19 heures, vendredi 20 heures 30, samedi 16 heures 30 et 20 heures 30, dimanche 16 heures
01 43 56 38 32
Site Artistic Théâtre
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