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"Les Justes" d’Albert Camus dans une version tragédie musicale orchestrée par Abd Al Malik

Le Théâtre du Châtelet, rouvert il y a quelques semaines, débute sa nouvelle de saison avec cette création originale d’Abd Al Malik. Une adaptation de la pièce de Camus rythmée par le hip-hop, le slam et le rap. Jusqu’au 19 octobre.

Article rédigé par Stéphane Hilarion, franceinfo avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Abd Al Malik signe sa première mise en scène au théâtre avec cette adaptation de la pièce d'Albert Camus. (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

C'est un spectacle qui se veut un Hamilton à la française, le hit de Broadway qui chante la diversité. Mais c'est aussi l'histoire de jeunes de banlieue qui s'approprient une prestigieuse scène parisienne grâce au rappeur star Abd Al Malik.

Le Théâtre du Châtelet, qui a rouvert ses portes le 13 septembre après environ trois ans de fermeture pour travaux, démarre samedi sa saison proprement dite avec une création, Les Justes, basée sur la pièce éponyme d'Albert Camus, jouée pour la première fois il y a 70 ans au Théâtre Hébertot à Paris.

L'adaptation, qui se joue jusqu'au 19 octobre, promet d'être singulière, ne serait-ce qu'au niveau de la distribution : à l'image de Hamilton, dont le casting est essentiellement des Afro-américains, des Latinos et des Asiatiques,  Les Justes sera jouée par une majorité d'acteurs français d'origines maghrébine et africaine, chose peu commune, sur la scène parisienne.  

"Les Justes" Abd Al Malik
"Les Justes" Abd Al Malik "Les Justes" Abd Al Malik

Premier metteur en scène noir au Châtelet

Les Justes, qui parle d'un groupe de révolutionnaires dans la Russie de 1905 projetant un attentat pour se libérer de la "tyrannie", "souligne une question universelle et contemporaine", explique Abd Al Malik, dont c'est la première mise en scène. "On parle de révolte de nos jours mais que veut dire l'engagement politique en 2019 ? La fin justifie-t-elle les moyens ?", interroge l'auteur, rappeur et réalisateur de 44 ans, qui est également selon le Châtelet le premier metteur en scène noir engagé par le théâtre depuis sa création en 1862.

"Donc quand je mets sur scène des Français d'origine algérienne, congolaise, cambodgienne, asiatique et blancs, ce n'est pas tant pour faire "diversité", c'est pour dire que nous sommes tous connectés, que nos histoires sont entrelacées", poursuit l'artiste lui-même d'origine congolaise.

"Le peuple de la périphérie"

Le rappeur poète et adepte du soufisme qualifie le spectacle de "tragédie musicale". Le hip-hop, le slam et le rap rythment le texte de Camus grâce aux compositions de Bilal, son frère cadet et compositeur attitré, et Wallen, l'une des rares compositrices de rap françaises. Mais ce n'est pas une simple mise en musique. Pendant huit mois, Abd Al Malik a travaillé avec des jeunes d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) pour qu'ils réfléchissent à la portée philosophique de la pièce.

Dans le spectacle, il les convoque sous forme de chœur déclamant des aphorismes qui "mettent en écho" le texte de Camus et représentent leur vision du monde.  "Le texte les a ramené à des problématiques qui les concernent. On a parlé de violence policière, de crise migratoire, des quartiers populaires qui sont mis de côté", explique Abd Al Malik, qui a sorti cet été son livre Méchantes Blessures où il évoque une jeunesse française éprise de culture et issue des banlieues et de l'immigration.

"Ces gens-là, je les appelle "le peuple de la périphérie", les gens de banlieues, de campagne qu'on n'écoute pas, qu'on ne voit pas. Et quand on les voit sur les scènes parisiennes, c'est caricatural", souligne-t-il.

Camus, un grand frère

Pour lui, le fait que ces jeunes se retrouvent sur la scène du Châtelet, avec le soutien du Théâtre de la Ville, est fortement symbolique. "Mais cela ne veut pas dire qu'on propose une culture au rabais", martèle-t-il.

Les Justes est "un projet qui résume toutes nos ambitions", affirme de son côté Ruth Mackenzie, codirectrice artistique du Châtelet avec Thomas Lauriot-dit-Prévost. "Tout le monde a le droit de venir dans ce théâtre mais aussi d'être sur scène", dit la Britannique nommée en 2017. Elle décrit les jeunes d'Aulnay-sous-Bois comme "transformés" par l'expérience. "Ils sont tellement fiers, tellement contents, c'est leur théâtre. Ils s'approprient la scène".

Pour Abd Al Malik, un passionné de Camus qui a grandi dans une cité HLM à Strasbourg et qui a évoqué dans des entretiens être passé par la petite délinquance, le projet a également une portée personnelle. "Comme Camus, j'ai été élevé par une mère seule, la culture m'a arraché à ma condition et je me suis confronté à l'intelligentsia parisienne. Je sens qu'il est un grand frère qui me donne des conseils"

Abd Al Malik a publié un ouvrage sur l’écrivain en 2016, Camus, l’art de la révolte (Fayard). Son dernier roman, le huitième, Méchantes Blessures (Plon) est sorti lui en août dernier. 

Affiche du spectacle  (DR / Théâtre du Châtelet / Abd Al Malik)

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