Le bouillonnant "Roméo et Juliette" d'Olivier Py
Au salut final, le souffle nous manque. Ce "Roméo et Juliette" ne laisse aucun répit. Pendant trois heures et vingt minutes, on a vu des comédiens courir un sprint pour entrer et sortir de scène et évoluer dans un décor en perpétuel mouvement. Sur un plateau presque nu, - quelques palmiers, des caisses et des escaliers mobiles -, Olivier Py a installé une intrigue mouvante entre farce et tragédie.
Loin du mythe romantique
Baignés dans une lumière aveuglante, son Roméo et sa Juliette se démènent pour afficher le tourment amoureux qui les ravage. Ils se jettent au sol, se heurtent aux éléments de décor, tempêtent les bras en l’air pour implorer le Ciel. Matthieu Dessertine, inconnu de 23 ans, déjà présent dans "Les Enfants de Saturne" (monté en 2009 par le même Olivier Py), campe un jeune homme impétueux tandis que sa camarade du Conservatoire national d’Art dramatique de Paris, Camille Cobbi, 22 ans, interprète une héroïne qui n'a rien de la naïve virginale. "On est loin de l’image du couple "nunuche" véhiculé par les adaptations romantiques de la pièce", souligne le metteur en scène. Son personnage a "la profondeur d’Hamlet" et l’élue de son cœur est "un génie littéraire pétri de spiritualité". Face à leur sincérité, on se laisse volontiers toucher par le feu qui les consume.
Et il n’y a pas que les rôles - titre qui réservent des moments intenses : quand par exemple, Olivier Balazuc se mue en maître de cérémonie gouailleur et pathétique lors du bal masqué chez les Capulet ou lorsque ce même comédien, sous les traits du père Capulet, frappe sa fille à deux reprises. La même scène se répète, comme pour souligner ce geste extrême. Autre performance : celle de Mireille Herbstmeyer, épatante nourrice de Juliette.
Un langage cru et des scènes grivoises
Reste qu’au fil de la pièce, on est parfois gagné par la perplexité. Certaines scènes dénotent. Pourquoi dans la scène 4 de l’acte II, Roméo et Mercutio s’amusent-ils à mimer des rapports sexuels ? Ce dernier va jusqu’à se mettre à nu pour provoquer la nourrice. Voilà qui peut perturber le spectateur quand par la suite, Roméo déclame sa douleur passionnée pour Juliette. Comment le trouver totalement crédible ? Olivier Py assume en rappelant que "Shakespeare était homosexuel et n’écrivait que pour les hommes". Quant à cette scène scabreuse décriée par de nombreux critiques, elle trouve d’après lui, ses racines dans le texte original, truffé de mots grivois. Le dramaturge anglais, friand de paillardise, voulait en effet distraire tous les niveaux de la société, mais la façon dont le metteur en scène souligne le trait interroge. On a bien du mal à voir la cohérence lorsque nos héros tantôt s’amusent de jeux de mots aux accents contemporains, tantôt évoquent leur passion en prenant les étoiles à témoin ou en citant des vers de Pétrarque.
Et c’est là que se dessine le problème majeur de la pièce : son texte. Une traduction assurée par le directeur du Théâtre de l’Odéon lui-même, en vers, rimés ou pas, qu’il a voulu "la plus fidèle possible à l'oeuvre de Shakespeare". "Il ne voulait surtout pas l'ancrer dans la modernité", souligne-t-il. Un non-choix déroutant. "On ne peut pas me reprocher cette fidélité," affirme-t-il, "car je propose une production nouvelle en révélant des aspects méconnus de la pièce."
A 46 ans, ce féru de spectacles qui mêle le verbe, l'humour et l'irrévérence, milite pour un "théâtre festif et populaire". Sa version de "Roméo et Juliette" en est une nouvelle illustration. Il a ajouté des scènes de comédie qu’il estime "régulièrement coupées dans les adaptations mièvres de ce grand classique". Ainsi, son personnage du bouffon lance "De quelle couleur sont les petits pois ? Les petits pois sont rouges." Mercutio lui, dit à propos de Roméo : "Cela lui ferait du bien de secouer sa poire". Ce qui donnerait "shake’s pear" en anglais. L'auteur assure ici, suivre au plus près la langue de Shakespeare.
Olivier Py joue avec les artifices du théâtre
Mais, si son propos ne convainc pas toujours, Olivier Py parvient à communiquer son amusement pour les mots et les planches. Son décor épuré rend hommage au théâtre à tréteaux de Shakespeare, à ce spectacle qui est en train de prendre forme sous les yeux du public. Ses acteurs, comme au temps du dramaturge anglais, interprètent plusieurs personnages. Un accessoire leur suffit pour se glisser dans la peau d’un autre. Ainsi, Roméo donne vie à son père, Olivier Balazuc incarne le père Capulet et Paris tandis que Quentin Faure joue Tybalt et Lady Capulet, un bas noir sur la tête. Une manière pour le metteur en scène de rompre l’illusion théâtrale et là encore, de brouiller les pistes. Lors de la dernière scène, les rescapés de la tragédie, - personnages ou acteurs, on ne sait plus -, s’aspergent de poudre blanche comme s’il s’agissait des cendres des disparus. Eux aussi vont devenir poussière,... jusqu’au prochain travestissement. Une table de maquillage, installée sur le plateau depuis le début de la pièce, les invite déjà à reprendre leur course effrénée.
La traduction de "Roméo et Juliette" d'Olivier Py est paru chez Actes Sud-Papiers en septembre 2011.
"Roméo et Juliette" en tournée :
17 au 26 janvier 2012 : Le Grand T, Nantes
31 janvier au 2 février : Maison de la Culture de Bourges
7 au 9 février 2012 : Maison de la Culture d’Amiens
14 au 17 février 2012 : Comédie de Reims
22 et 23 février 2012 : La Comète, Châlons-en-Champagne
29 février et 1er mars : Théâtre de Cornouailles, Quimper
7 au 9 mars 2012 : Comédie de Valence
13 au 15 mars 2012 : Comédie de Clermont-Ferrand
20 au 23 mars 2012 : Le Quartz de Brest
4 et 5vril 2012 : Théâtre Musical de Besançon
10 au 13 avril 2012 : Théâtre Liberté de Toulon
18 et 19 avril 2012 : Théâtre de Louviers, Scène Nationale d’Evreux
25 au 28 avril 2012 : TNT, Toulouse
16 au 19 mai 2012 : TNN, Nice
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