La grâce d'Ariane Ascaride, "Touchée par les fées" à Avignon
"Avignon ! Avignon ! Avignon !", le nom est déclamé comme un mot neuf. Comme ces mots que les enfants répètent à l'envi avec gourmandise parce qu'ils viennent de les découvrir, des mots qui portent en eux une promesse de bonheur. Ariane Ascaride est là, sur la scène du Petit Louvre, à Avignon, d'un bloc, combinaison rouge (tiens, ça nous rappelle quelque chose!), une fraise autour du cou, les mains dans les poches, opulente chevelure déployée, une allure de gamine espiègle.
Tout de suite on se sent chez soi, confortable, nous aussi comme des gosses heureux quand ils savent que quelqu'un qu'ils aiment bien va leur raconter une histoire, les faire voyager et rêver. Quelques heures plus tard on apprendra qu'un camion fou a tué des dizaines d'innocents sur la promenade des Anglais.
Ariane Ascaride, du IN au Off
Mais pour l'instant, on est tout au plaisir de ce spectacle de théâtre en compagnie d'Ariane Ascaride, revenue à Avignon dans le Off, six ans après sa présence en 2010 dans le IN, qui l'avait invitée dans le cadre des "Sujets à vif". Elle avait alors parlé de ce rêve jamais réalisé : jouer Puck, ce petit elfe qui conclut "Le songe d'une nuit d'été", de William Shakespeare. C'est le point de départ de l'aventure, qui s'est étoffée au fil du temps. La version du spectacle de ce soir est la quatrième depuis 2010 et toujours les mêmes complices, Marie Desplechin à l'écriture, et Thierry Thieû Niang à la mise en scène."Je suis tellement contente d'être là, toute seule, sans mon père, sans mon mari, sans mes frères !", lance-t-elle sur la scène. Elle qui a toujours fait ce qu'on lui demandait de faire, pour la première fois elle porte un projet qui est le fruit de son propre désir. "C'est une manière de dire : 'vous voyez, je peux faire toute seule'", sourit Ariane Ascaride, fille de metteur en scène, épouse d'un cinéaste, passée "en silence", dit-elle, "du théâtre d'un napolitain au cinéma d'un arménien".
Le théâtre, elle est tombée dedans quand elle était petite. Le dimanche, Ariane jouait avec ses frères dans les mises en scènes de son père, un coiffeur napolitain, et lieutenant de la Résistance féru de théâtre, l'un des premiers à monter du Brecht à Marseille.
"Je n'aurais pas pu faire autre chose qu'actrice"
"Et toutes les semaines, avec ma mère, on allait au théâtre. Des fois elle s'endormait, d'autres fois je m'endormais, après on rentrait diner", raconte-t-elle sur scène. "Alors je n'aurais pas pu faire autre chose qu'actrice. C'est comme le fils de charcutier qui reprend la charcuterie du père", ajoute-t-elle quand on la rencontre après le spectacle, lunettes rondes posées devant ces yeux doux et rieurs, son grand sac rouge posé sur la table.Sur scène elle raconte cette enfance, entre un père qui "nous prenait toute la place", des maîtresses incalculables ("comme les santons de la crèche"), et engagé : le dimanche matin ils entonnaient ensemble les chants de l'armée rouge ("300 décibels à nous deux"). Quand elle a huit ans, il lui coupe les cheveux, deux longues nattes dont elle pouvait savourer les pointes salées quand elle sortait de la Méditerranée. Une première coupe au carré : "France Gall", une deuxième coupe bien dégagée derrière les oreilles : "Adamo". Un drame ? Non, "depuis que je me suis coupé les cheveux, mon répertoire s'est agrandi", dit-elle.
"Ceux qui meurent n'abandonnent jamais le terrain"
Ariane Ascaride narre : les infidélités du père, les parents qui ne se parlent plus, la misère. "On était pauvres, même si dehors on sauvait la face", et la démission de la mère "elle avait jeté l'éponge". Elle raconte sans pathos. Avec elle on rit de tout, parfois la gorge serrée. "Mais oui, le rire n'est jamais l'ennemi de l'émotion", souligne-t-elle après le spectacle. Je n'allais quand même pas faire dans le pathétique. Avec le pathos on s'ennuie !", ajoute la comédienne.Elle se souvient aussi, et là on rit de bon cœur, sa rencontre avec Robert Guédiguian. Une demande en mariage à moto : "Tu ne veux pas qu'on se marie ? Comme ça on pourrait combattre l'institution de l'intérieur !", puis la rencontre du fiancé avec le père, sans parole, mais avec "un pastis grand comme une soupe". Elle parle aussi de la mort. Celle de son père, puis celle de sa mère, disparue quelques jours avant les "Sujets à vif" en 2010. "Ceux qui meurent n'abandonnent jamais le terrain", dit-elle citant Racine. Et c'est vrai, ils sont sur scène avec nous ce soir au Petit Louvre.
"Je voulais faire un cadeau au public"
Ariane Ascaride conte, imite, mime, danse, crie ou chuchote, avec une constante et généreuse énergie, et une poésie qui évoque Giullieta Masina.Pour rendre compte de cette vie pleine de vie, Ariane Ascaride tenait absolument à ce que cela passe par une écriture. "Je ne voulais pas juste raconter ma vie, juste faire un témoignage de moi-même. Je voulais parler de ce que c'est que d'être une actrice, d'où ça vient, et partager avec les gens qui viennent au théâtre. Ce n'est pas anodin de faire la démarche d'aller dans un théâtre. Et je voulais faire de mon mieux, mon métier, pour avoir ce moment de partage avec le public. Faire un cadeau."
"Et aussi montrer qu'on peut faire du théâtre avec rien". Le dispositif scénique de "Touchée par les fées" est fait de trois bricoles sur le plateau, un portant, deux costumes enfilés l'un sur l'autre, des boites noires, un ciel étoilé, et des photos ou des films projetés sur les murs de pierre de la chapelle (hilarante, la scène des archives de l'INA avec Noureev !).
"Le théâtre, c'est la chose la plus magique que je connaisse", insiste Ariane Ascaride, des étoiles dans les yeux. La réalisation d'un rêve d'enfant, cette "illusion qu'on peut changer le monde", qu'elle a pu vérifier un soir de Noël en rallumant le rire de ses parents qui se détestaient, avec des cierges magiques et des chapeaux en papier.
"Être actrice, c'est une autre manière de faire l'ange"
C'est avec les mots de son amie et complice Marie Desplechin qu'elle a voulu donner forme à cette magie. "Avec moi vous savez c'est toujours une histoire d'amitié, de famille", dit-elle. "Alors j'allais dans sa cuisine et je lui racontais. Et puis je partais. Et elle revenait avec les textes". Et c'est comme ça qu'Ariane Ascaride est devenue un personnage. "C'est un peu paradoxal, parce que je suis en train de jouer, et c'est mon histoire", dit-elle."Mais mon principe ça a été de toujours rester dans les pages de Marie, de ne pas en sortir".Pas toujours simple, quand même d'interpréter son propre rôle. "Il y a des moments où je pense à mes parents pendant le spectacle, d'ailleurs c'est toujours au même moment. Pour ma mère, c'est quand elle me parle de ma petite jupe. Quand elle me voit sur scène et que tout ce qu'elle trouve à me dire c'est que 'pour une fois je suis bien habillée', 'la jupe, le haut beige assorti'. C'est vrai elle a vraiment dit ça vous savez. Pas un mot sur la pièce !".
Les acteurs sont des éponges", disait Shakespeare, qui est plusieurs fois cité dans le spectacle. "Les acteurs ont des cartons d'émotions dans la tête, qu'ils sortent pour faire vivre les personnages", ajoute la comédienne. "Etre actrice, c'est une autre manière de faire l'ange".
Sur scène le rêve s'accomplit : Ariane Ascaride sort de sa chrysalide, prend son envol. Elle est Puck, et avec elle, on se figure avoir fait ici un court sommeil, tandis que des visions errent autour de nous.
"Touchée par les fées", de Marie Desplechin, mise en scène de Thierry Thieu Niang, avec Ariane Ascaride (Production Les petites Heures)
Tous les jours jusqu'au 30 juillet au Petit Louvre à 16h35 (relâche les 19 et 26 juillet)
Festival Avignon OFF
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.