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"L'Aigle à deux têtes" : les jeux de l'amour et du pouvoir au Théâtre Ranelagh

Pièce de Jean Cocteau de 1946, montée avec Edwige Feuillère, Sylvia Montfort et Jean Marais, il l'adapta au cinéma deux ans plus tard avec la même distribution, mais la représenta peu sur scène. Issame Chayle en tire une très belle mise en scène avec Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé, Molière de la Révélation masculine 2016, au Théatre Ranelagh, à Paris : politique, romantique, fantastique.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé dans "L'Aigle à deux têtes", de Jean Cocteau, mise en scène de Issame Chayle, Théâtre Ranelagh (2017)
 (Ben Dumas)

La reine foudroyée

"L'Aigle à deux têtes" avait également été adaptée par Michelangelo Antonioni dans un téléfilm de la Rai sous le titre "Le Mystère d’Oberwald" (1981) avec Monica Vitti. Le réalisateur italien tirait volontiers la pièce dans ses retranchements fantastiques, à laquelle elle se prête, et auxquels Antonioni, peu coutumier du genre, s’adonnait avec bonheur, recevant du même coup un excellent accueil au Festival de Venise qui projetait pour la première fois une œuvre télévisuelle. Cette dimension fantastique est également l’apanage de la belle mise en scène qu’en donne Issame Chayle, auquel le Théâtre du Ranelagh prête l’écrin de ses merveilleuses boiseries.
Le décor de ce château d’un royaume imaginaire, perdu dans les brumes, semble se prolonger dans la salle. Les tentures peintes de Murielle Delamotte sont magnifiques et participent grandement de l’atmosphère onirique de la pièce, ainsi que ses costumes sobres, près du corps ou vaporeux, romantiques. Les lumières de Denis Koransky vont dans la même direction, en traduisant les clairs-obscures gothiques du château de Berg, et les éclairs impressionnants auxquels la Reine, embrumée de mélancolie après l’assassinat de son mari, voue une passion fiévreuse. Foudre dans laquelle apparaît Stanislas, poète anarchiste, venu pour tuer la Reine, qui va pourtant lui vouer un amour passionnel, bientôt réciproque.

Reportage : J. Mirande /. I. Audin / R. Supe / M. Susini :

Louis II de Bavière en filigrane

A la quête de pouvoir succède celle de l’amour. Amour impossible entre une reine et un vulgaire roturier, qui vont rêver d’un règne bicéphale, tué dans l’œuf et aux conséquences tragiques. La Reine se découvre anarchiste et l’anarchiste monarchique. De cette union improbable naît la crise politique, les jeux de cour, dont les courtisans vont se servir pour évacuer la suzeraine. Si "L'Aigle à deux têtes" est une relecture rêvée du drame de Louis II de Bavière, c’est dans cette inopérance entre passion et pouvoir, dont fut victime le Roi en 1886, qu’elle se trouve.
Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé dans "L'Aigle à deux têtes", de Jean Cocteau, mise en scène de Issame Chayle, au Théâtre Ranelagh (2017)
 (Ben Dumas)

Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé composent un couple en phase avec la tragédie. D’abord ennemis, méfiant, puis amoureux, comme malgré eux, dans une intrigue complexe, où se mêlent, s’emmêlent, s’entremêlent pouvoir et amour. La lutte pour le trône trouve son équivalent chez Edith et Félix (Salomé Villiers et Julien Urrutia, de premier ordre), respectivement lectrice et majordome, qui se disputent les faveurs de la suzeraine. Le conte (François Nambot à la fois noble et fourbe) manipule les passions pour y asseoir ses ambitions. Tenue pour mineure, la pièce de Jean Cocteau a gardé toute sa pertinence et la beauté d’un texte qui gagne à être connu. Issame Chayle le réactualise avec une belle distribution, servie par une conception scénique spectaculaire et poétique. Enivrant.   

L'Aigle à deux têtes
Auteur : Jean Cocteau
Mise en scène : Issame Chayle assisté d'Aurélie Augier
Avec : Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé (Molière de la Révélation Masculine 2016), François Nambot, Julien Urrutia, Salomé Villiers
Lumière :  Denis Koransky
Musique : Jules Poucet
Scénographie et Costumes : Muriel Delamotte


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