Cet article date de plus de cinq ans.
"Kanata" : pour le Théâtre du Soleil les Indiens sont encore loin
La polémique gronde depuis le mois de juillet et l’annonce de la création de la pièce "Kanata" au Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes. Le grief porte sur l’absence de participants amérindiens au projet consacré à l’histoire récente des populations autochtones au Canada. Ce n’est pas tant là que le bât blesse, mais sur un texte et une dramaturgie qui passent à côté du sujet.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Grincements de dents
En 2012, à Vancouver, au Canada, une jeune artiste peintre occidentale décide de faire les portraits des victimes d’un serial killer qui sévit dans le quartier malfamé de Downtown Eastside, où sont assassinées des femmes amérindiennes prostituées et toxicomanes. Elle est confrontée à l’opposition des familles qui lui reprochent de vouloir s’accaparer leur histoire et leurs larmes.Cette notion d’appropriation d’une histoire par ceux qui ne l’ont pas faite ou vécue, au cœur de la pièce, est justement ce qui a provoqué polémique autour de " Kanata – Episode 1 : La Controverse". Premier opus d’une dramaturgie en cinq pièces, c’est la première fois qu’Ariane Mnouchkine confie une mise en scène à un créateur n’appartenant pas au Théâtre du Soleil qu’elle dirige depuis ses origines : le Québécois Robert Lepage. Le procès qu’on leur fait ne tient guère debout au regard de la philosophie internationaliste et sociale de Mnouchkine, ni face à l’engagement de Lepage à l’égard des autochtones. Mais l’on peut comprendre que quelques dents ont pu grincer.
Moi, Christiane F., 13, ans, droguée et prostituée
Le problème de "Kanata" est ailleurs. Si la pièce s’ouvre sur trois courts tableaux de toute beauté - une exposition représentant des toiles figurant des Améridiens, la déforestation industrielle, et le passage d’une pirogue qui évoque un paradis perdu -, la suite déchante âprement une fois débarqué à Vancouver Downtown Eastside. Un coin sordide, où se croisent prostitué(e)s et toxicos. Le lieu n’est pas particulièrement évocateur de la géographie si essentielle au sujet, et l’on pourrait se trouver dans un autre coin de la planète. A tel point que l’on se croirait plus dans le Berlin des années 80 de "Moi, Christiane F., 13, ans, droguée et prostituée" que dans le Vancouver des années 2010. Un sentiment confirmé par la greffe de cette histoire de serial killer, adaptée d’un fait divers de l’époque, mais qui semble artificielle.L’on reste alors sur sa faim devant un spectacle dont le sujet si essentiel et passionnant concernant les rapports entre les peuples et la colonisation, demeure en retrait au regard d’un texte qui privilégie l’environnement et la contextualisation du propos. "Kanata" n’en reste pas moins traversée de fulgurances - le prologue en trois temps, le trip à l’opium dans le canoé imaginaire, certains dispositifs scéniques… Mais construite au rythme de courts tableaux, la pièce souffre de nombreux changements de décors qui manquent de fluidité et leur répétition casse la dynamique dramatique.
Curieux qu’un tel sujet ambitieux, par une telle compagnie avec de tels auteurs à la gouverne, accouche d’un spectacle dont on retiendra plus "La Controverse" que le "Kanata" des origines.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.