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"J'ai créé un objet nouveau" : un spécialiste de Molière réclame des droits d'auteur pour une adaptation de "Tartuffe" à la Comédie-Française

Georges Forestier, l'un des plus grands spécialistes de Molière, attaque en justice la Comédie-Française pour “violation de ses droits d’auteur” dans le cadre de la présentation de la pièce “Tartuffe ou l’hypocrite”. Il estime en être l’adaptateur, ce que réfute l’institution.

Article rédigé par franceinfo - Géraldine Hallot, cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La façade de la salle de spectacle de la Comédie Française rue de Rivoli à Paris. (BRUNO LEVESQUE / MAXPPP)

L'affaire risque de faire du bruit dans le milieu du spectacle vivant. Selon les informations de la Cellule investigation de Radio France, Georges Forestier, l’un des plus grands spécialistes de Molière en France, poursuit en justice la Comédie-Française, que les habitués appellent "la Maison de Molière". Depuis plus de trois siècles en effet, l’institution de la place Colette à Paris perpétue l’œuvre et l’héritage du dramaturge. Georges Forestier assigne la Comédie-Française pour "violation de ses droits d’auteur". Au cœur de la bataille judiciaire qui s’annonce, la pièce Tartuffe ou l’hypocrite, jouée par la troupe du Français en cette année Molière, pour célébrer comme il se doit les 400 ans de sa naissance. Cette pièce, Georges Forestier estime en être l’auteur-adaptateur et par conséquent, il revendique des droits d’auteur.

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Mis en scène par le célèbre metteur en scène belge Ivo Van Hove, avec Dominique Blanc, Denis Podalydès et Marina Hands dans les rôles principaux, Tartuffe ou l’hypocrite est un succès critique et populaire. Il a été joué à 40 reprises à guichets fermés et a entamé une tournée européenne en 2022. La pièce a également fait salle comble dans les cinémas Pathé, qui la retransmettaient dans le cadre d’un partenariat avec la Comédie-Française. Un engouement certain donc.

La version "originale" de Tartuffe

Il faut dire que Tartuffe ou l'hypocrite a l’attrait de la nouveauté puisqu’il s’agit d’une version inédite du Tartuffe de Molière. Une version censurée par Louis XIV en 1664 car il la jugeait trop critique envers la religion catholique. Pour faire passer la pilule au souverain, Molière avait dilué sa pièce, la faisant passer de trois à cinq actes : un texte rallongé où le côté "satire des dévots" disparaissait quelque peu. Et c’est cette version “édulcorée” que nous connaissons tous, que nous lisons à l’école.

En 2011, Georges Forestier se met en tête de retrouver la version originale de Tartuffe. Problème : le manuscrit n'existe plus. Qu’à cela ne tienne, le professeur de littératue, spécialiste de l'histoire du théâtre qui a consacré une biographie de référence au dramaturge (Molière, Gallimard, 2018) et a dirigé l’édition complète de ses œuvres dans la collection la Pléiade (2010), va la faire renaître.

À gauche “Tartuffe ou l’hypocrite” restitué par Georges Forestier, à droite, “Le Tartuffe” en cinq actes. (GÉRALDINE HALLOT / RADIO FRANCE)

“Il n'existe qu'une pièce publiée par Molière qui s'appelle Tartuffe ou l'imposteur, qui est une pièce en cinq actes, explique Georges Forestier. On savait que la pièce qui avait été interdite par Louis XIV était en trois actes. Je suis donc parti de la version en cinq actes, dans laquelle j'ai coupé l'acte II et l'acte V." Ce faisant, Georges Forestier supprime deux personnages, ceux de Valère et de Mariane : "J’ai réécrit des vers parce que quand vous enlevez des personnages, il y a évidemment des vers qui restent en plan et il faut les transférer vers d'autres personnages. Les quatre vers de conclusion, je les ai inventés en m’inspirant de Molière."

Les quatre derniers vers de “Tartuffe ou l’hypocrite” inventés par Georges Forestier en s’inspirant de Molière. (TARTUFFE OU L'HYPOCRITE)

Par ce travail de réécriture et de mise en forme, le Tartuffe redevient la satire religieuse qui avait déplu à Louis XIV. "C’est plus percutant, estime Georges Forestier. La puissance de Molière éclate dans cette version ramassée." C’est aussi l’avis de la Comédie-Française, qui décide de programmer cette pièce, dont il existe dorénavant une version écrite, publiée en 2021 aux éditions Portaparole.

De quel statut peut se prévaloir Georges Forestier ? Ce sera tout l’enjeu du contentieux judiciaire qui démarre. Georges Forestier estime être "l'auteur-adaptateur" de Tartuffe ou l'hypocrite. De son côté, la Comédie-Française, qui ne souhaite pas prendre la parole publiquement dans cette affaire, considère via son avocat que Georges Forestier "n'est pas l'auteur de Tartuffe ou l'hypocrite" et qu'il a juste "restitué en tant qu'universitaire le texte originel de Molière". "C’est faux, réagit Georges Forestier, j’ai créé cette pièce avec Molière, puisque c'est essentiellement du texte de Molière qu’il s’agit, mais j'ai créé un objet nouveau qui n’existait pas jusqu’ici." À ce titre, il demande à percevoir des droits d'auteurs pour les représentations de la pièce à la Comédie-Française.

Georges Forestier (à gauche) en compagnie de son avocat Jean-Paul Carminati (à droite). (GÉRALDINE HALLOT / RADIO FRANCE)

"Il n’y a absolument aucune formalisation juridique, aucun contrat qui autorise la Comédie-Française à représenter le Tartuffe de Georges Forestier, dénonce maître Jean-Paul Carminati, l’avocat de l’historien. On serait en droit d'interdire purement et simplement les représentations, mais on souhaite tout de même que la pièce de Georges Forestier soit diffusée." L’avocat ironise : "Ce serait un peu fort de café d'interdire le Tartuffe. Ce serait une tartufferie suprême. On tolère donc cette situation, mais on a saisi le tribunal pour la régulariser et faire reconnaître à Georges Forestier sa qualité d'adaptateur du Tartuffe originel en trois actes, à partir de celui en cinq actes."

Le "malentendu" pourrait provenir d’un échange de mails remontant à début 2021. Dans un message adressé au directeur de la production de la Comédie-Française, Georges Forestier écrit qu’il permet à la Comédie-Française de présenter "gracieusement" sa pièce pour l’ouverture de l’année Molière [voir mail ci-dessous]. Le directeur de la production le "remercie" et explique qu’il va "se rapprocher de la SACD [Société des auteurs compositeurs dramatiques] pour étudier les différentes possibilités". Georges Forestier prend soin de préciser "il sera bien temps, si mon Tartuffe est réclamé à cors et à cris dans le monde entier, de revoir mes prétentions à la hausse".

Mail du directeur de la production de la Comédie Française à Georges Forestier, le 26 janvier 2021. (DR)

Réponse de Georges Forestier au directeur de la production de la Comédie Française - 26 janvier 2021 (DR)

"Cet échange de mails n’a aucune valeur juridique", affirme aujourd’hui maître Jean-Paul Carminati. "Les autorisations en matière de droits d'auteur ne sont valables que si elles sont précises en termes de date, de lieu, d’étendue et de conditions financières", explique-t-il. Avant de préciser : "Georges Forestier, en tant que membre de la SACD, ne peut de toutes façons pas renoncer à ses droits, normalement perçus par la SACD à chaque représentation." Hubert Tilliet, le directeur des affaires juridiques de la SACD précise, sans prendre parti dans ce dossier particulier dont il ne connaît pas les éléments : "On peut tout à fait céder des droits d’auteur. C’est prévu dans le code de la propriété intellectuelle. Mais cela doit se faire dans le cadre d’un contrat ou d’un acte précis. S’il y a autorisation gracieuse de présenter une pièce, il faut indiquer le nombre de représentations, la durée de cette autorisation et sa portée géographique." Ce qui n’a pas été le cas dans cette affaire.

Les deux parties ont-elles fait preuve de légèreté avant la présentation de l’une des pièces les plus attendues de ces dernières années ? C’est désormais au juge de trancher leur contentieux. En attendant, Tartuffe ou l’hypocrite, qui jouit de très bonnes critiques, affiche complet pour ses prochaines dates prévues début 2023 à la Comédie-Française. Qu’importe ce qui se passe en coulisses, le spectacle continue.

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