: Interview "Pour les faire plonger en 1950, il faut activer des stimuli d'immersion" : le spectacle "Cabaret Rive Gauche" transporte dans le Saint-Germain-des-Près des années 50
Le cabaret de La Fontaine des Quatre Saisons, dirigé de 1951 à 1956 par les frères Prévert, revit à Paris. La machine à remonter le temps de la troupe de Sculpteurs de Rêves s'y arrête, pendant deux heures, le temps du spectacle Cabaret Rive Gauche.
Cette aventure, immersive et festive, mêle théâtre, jeux de rôle, chansons, ateliers, concours artistiques, expositions d'art, vente aux enchères et magie au rythme du jazz et du be-bop. L'occasion de croiser des personnages de l’époque - Boris Vian et son fameux piano cocktail décrit dans le livre L'écume des jours , le poète Jacques Prévert, et la future chanteuse Barbara... Sensations garanties !
"Lorsque l’on a eu l’opportunité de faire revivre cet espace en partenariat avec Tempora et le musée Maillol, nous avons été très émus. C’est un lieu chargé d’Histoire” explique Maël Magat, CEO et directeur artistique de Sculpteurs de Rêves, que nous avons rencontré, fin avril, lors de la Première.
Cabaret Rive Gauche est la dernière création de Sculpteurs de Rêves. Comment a débuté l'aventure de votre collectif d'artistes ?
Maël Magat : il y a 10 ans, l'aventure a débuté quand nous avons découvert le jeu de rôle grandeur nature. À l’époque, avec des amis de collège, nous nous sommes passionnés pour cette pratique qui consiste à incarner un rôle, comme dans le jeu Donjons & Dragons. Cela procure des sensations que l'on a retrouvées nulle part ailleurs ! Notre idée était de les faire ressentir à tout le monde sans qu'il y ait besoin de s'y prendre à l'avance et d'apprendre de longues pages de scénario. Nous nous sommes penchés sur tout ce qu'il se faisait à l'époque et qui ne s'appelait pas, alors, de l'immersif. Il y avait de l'escape game, du théâtre, du jeu de rôle mais séparés les uns des autres. Nous nous sommes dit que si on les mélangeait, cela permettait de plonger les gens au cœur de la narration d'une histoire et, ainsi, de créer une nouvelle forme d'expérience.
Vous êtes un collectif d'artistes très hétéroclite ?
Oui, nous sommes un groupe très hétéroclite avec plein de parcours différents : certains viennent du cinéma, d'autres du théâtre, moi, j'ai fait communication et droit par exemple. Nous nous sommes retrouvés, pour la plupart, après les études supérieures, autour de cette passion de création d'expériences immersives. Aujourd'hui, c'est un réseau de 60 artistes, comédiens, games designers...
Sculpteurs de Rêves est un des pionniers français de l’immersif
Le théâtre immersif existait déjà avant que l'on arrive : il y avait des compagnies qui le faisaient mais dans une version "très théâtre" avec une pièce qui se déroulait à 360 degrés mais où les participants ne pouvaient pas interagir. Nous avons apporté cette interaction - nous n'avons pas été les seuls - mais nous avons figuré parmi les premiers à montrer cette voie où l'on peut discuter avec les comédiens, interagir avec le décor, faire des missions et influer aussi sur l'histoire, voire la changer. Nous avons eu cette chance de commencer très tôt cette fusion entre plusieurs types de médias et aujourd'hui beaucoup de compagnies de théâtre immersif se créent. Nous avons voulu tôt fédérer un réseau d'expériences (escape game, théâtre, réalité virtuelle...) et, avec d'autres acteurs, avons créé l'association JEDI (Journées de l'Immersif).
Comment a évolué le spectacle immersif en 10 ans ?
Complètement, c'est assez flagrant. Cela a été drastique et dans tous les milieux. Par exemple, en 2013 quand les escape game sont arrivés en France, c'était de grands casse-tête, sans décor particulier, ni histoire tandis, qu'aujourd'hui, on ne peut pas imaginer ouvrir une nouvelle salle sans une comédie, sans une histoire, sans un décor très travaillé.
Le curseur de l'immersion est poussé à son paroxysme avec un mélange des genres et quelque chose de sensoriel : des beaux visuels, du son, même parfois de l'odeur pour stimuler les sens. Il faut aussi une histoire cohérente dans laquelle les gens peuvent se plonger pour permettre que le participant ne soit pas simple spectateur mais acteur à part entière.
Cabaret Rive Gauche offre une immersion dans les années 50 au temps du Paris des artistes. Comment choisit-on une thématique ?
En fait, on part souvent des lieux : en tant que Sculpteurs de Rêves, nous aimons sculpter directement dans les pierres qui nous accueillent et voir ce qu'elles ont à raconter. Souvent, le lieu est fondamental, il va permettre à 360 degrés d'immerger les participants et plus l'histoire que l'on va faire vivre est en cohérence avec ce lieu et plus on réussit à embarquer les gens.
Par exemple, au musée Grévin, nous étions dans un bar situé sur les grands boulevards, là justement ou il y avait les Apaches de Paris au début des années 1900. En voyant ce bar décoré dans le style Belle Epoque, nous nous sommes dit, voilà c'est le quartier. Pour Gatsby à Nice l'été 2023 - que nous reprenons cet été -, c'était un hôtel 5 étoiles avec une ambiance art Déco, chic et luxe.
Pourquoi avoir choisi le cabaret de la Fontaine des Quatre Saisons, dirigé par les frères Prévert.
En sachant que l'on avait l'opportunité de visiter le musée Maillol, nous nous sommes renseignés sur son histoire. On avait discuté avec eux de créer une expérience avant même d'avoir l'idée des années 50 ; après on a découvert cette histoire incroyable sur ce Saint Germain-des-Prés effervescent, artistique. De 1951 à 1956, les frères Prévert assuraient la direction artistique du cabaret de La Fontaine des Quatre Saisons, cabaret qui a accueilli toutes les stars de l'époque - Juliette Gréco, Yves Montand, Maurice Béjard... Il y a des anecdotes intéressantes, notamment, c'est ici que Boris Vian a écrit le Déserteur, texte antimilitariste très connu, et que Monique Serf - que l'on appellera bientôt Barbara - a été recalée à l'audition mais a été plongeuse, pendant un an, avant de devenir la star que l'on connaît aujourd'hui. Ce lieu, qui plus récemment a été le café du musée Maillol, n'était plus utilisé depuis la Covid.
Ces expériences immersives permettent aussi de transmettre des messages : la résilience de l'art, activité non essentielle suite à des périodes de crise comme la seconde Guerre Mondiale ; faire revivre des artistes et passer une soirée à boire une Suze tonic avec Boris Vian. Pour les faire plonger en 1950, il faut activer des stimuli d'immersion comme l'environnement, le multisensoriel, l'histoire et l'interaction.
A leur arrivée les participants recoivent une fiche personnage. A quoi sert-elle ?
C'est un guide que l'on donne : cette fiche présentant un personnage en trois lignes - avec le nom, la profession et un trait de personnalité - permet au joueur d'avoir une clef pour s'accrocher à l'expérience et créer sa propre histoire sans avoir trop de choses à se souvenir. Ainsi quand les comédiens demandent : qu'est-ce que vous faites dans la vie ? ne pas répondre je suis directeur marketing - ce.qui peut casser l'immersion - mais Bernadette Vilpert, intéressée par le rock n roll qui vient des Etats-Unis..... Pour celles et ceux qui veulent encore plus plonger, nous avons des fiches VIP avec plus de clefs et d'informations !
Comment se fait l'alchimie pour happer les spectateurs ?
Nous concevons l'expérience selon trois niveaux d'interaction. Certains veulent simplement participer à cette ambiance, profiter du spectacle proposé par le cabaret, tout en sirotant leur cocktail. Nous ne leur demanderont pas beaucoup d'interactions : ils vont discuter un petit peu et profiteront du spectacle : magie, chant, poésie, exposition de tableaux...
On a un deuxième niveau d'interactions qui va demander une petite participation : à l'inverse "des pêcheurs" qui restent en retrait, "les nageurs" vont essayer de se laisser porter par les flots de l'expérience. Les comédiens vont venir vers eux et leur proposer d'aller dans une salle à côté pour une mission. Ils vont se sentir partie prenante tout en étant pris par la main et guidé. A la fin, ils sentent avoir été un maillon important de l'expérience.
Au troisième niveau d'interaction, "les plongeurs" vont creuser l'expérience, discuter avec les comédiens, enquêter, fouiller le décor. Nous essayons de leur proposer des indices cachés, des quêtes secrètes et des missions qu'ils peuvent accomplir grâce à l'aspect fouineur-enquêteur que peut avoir le plongeur.
C'est un spectacle unique puisque le spectateur choisit de participer ou pas mais il faut satisfaire tout le monde ?
Nous essayons de donner le goût de ces expériences immersives, quel que soit ce que vous venez y chercher. Nous proposons quelque chose de très accessible, de grand public mais vous pouvez rester en retrait ou pas ! C'est toujours sur la base de la volonté mais quand un comédien insiste un peu, les gens sont, ensuite, très heureux car ils ont vécu quelque chose qu'ils auraient manqué.
C'est une parenthèse de vie cette une soirée en 1950 où vous pouvez butiner, papillonner de droite à gauche, vous pouvez suivre un personnage du début à la fin et avoir une histoire complète ou aller aider Monique Serf à devenir Barbara. Nous avons 85 scènes dans l'expérience dont 3 en simultanées, forcément cela nécessite de faire un choix : le spectateur ne va pas pouvoir suivre tout le monde. [Finallement une incitation à revenir !]
Café des frères Prévert. Musée Maillol. 59-61, rue de Grenelle. 75007 Paris. Durée : 2h. Jusqu'au 29 juin du mardi au jeudi (19h30), les vendredis et samedis (18h et 21h). De 35 à 80 euros.
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