Festival d’Avignon 2019 : "Architecture", une pièce politique belle et grave avec Béart, Weber et Podalydès
Sous une chaleur de plomb, le Festival d’Avignon s’est ouvert le 4 juillet avec "Architecture", une pièce belle et grave de Pascal Rambert sur des intellectuels aux heures sombres du XXe siècle. Et une performance de comédiens, avec dans la Cour d’honneur, Emmanuelle Béart, Jacques Weber, Denis Podalydès, Stanislas Nordey…
Que restera-t-il de l’"architecture" du patriarche ? De ce que ce vieil artiste et intellectuel a bâti - une famille de penseurs et d’artistes, élevés aux valeurs humanistes - face à la montée des nationalismes et face à la guerre ? C’est la question que pose Pascal Rambert, auteur et metteur en scène d’Architecture qui ouvre le festival, sous une grande chaleur, ce 4 juillet à la Cour d’honneur du Palais des papes. Et convoque pour cela quelques grandes statures du théâtre français : Denis Podalydès, Jacques Weber, Emmanuelle Béart, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Laurent Poitrenau et Audrey Bonnet.
Histoire d’un échec
Le récit se passe à Vienne d’abord, puis en voyage dans la Mitteleuropa qui sombre dans le fascisme (les pays d’Europe centrale et orientale), jusqu’en Grèce, entre 1910 et 1938. Mais ce pourrait être aujourd’hui, l’auteur en est convaincu, il l’a rappelé dans la traditionnelle conférence de presse du Festival d’Avignon ce 5 juillet. Et l’écriture de ce texte est intimement liée aux victoires des populismes ces dernières années notamment en Europe, où il voyage beaucoup pour travailler.
Le constat de départ est que la pensée, que l’on croyait être un rempart contre la barbarie, a échoué. Dans la famille qu’il a imaginée (le patriarche et sa nouvelle épouse, deux fils et deux filles, trois pièces rapportées, tous peintre, philosophe, écrivain, scientifique…) n’émerge aucun discours solidaire et unique, mais une myriade de langages différents, dans le contenu comme dans la forme, comme si on ne parlait plus la même langue. Ils sont la matière première, riche, intense – et remarquable – de la pièce.
Jacques Weber délicieusement tyrannique
Il y a le discours du patriarche d’abord, qui se sent moins menacé par le fascisme que par la disparition du "vieux monde" dont il est l’un des représentants. Ainsi, et c’est un plaisir de l’écriture de Rambert de souligner ces contradictions humaines, celui qui prône l’ouverture et la tolérance à l’extérieur est chez lui d’une impitoyable tyrannie. "Est-on encore capables d’aimer le beau ?", s’indigne-t-il. Puissant, éruptif à souhait dans sa violence, Jacques Weber n’a pas son pareil pour humilier et condamner sa progéniture. Seul le chant des martinets qui se sont invités à la pièce peut couvrir les décibels de l’homme blessé.
Face à lui, Stan (Stanislas Nordey, troublant de justesse) incarne le progressisme radical et la rupture au père. Son langage est éminemment politique : "Mon pays est dans la projection de la langue pour abattre le gorille, dit-il, comprenez le père. Entre ces deux extrêmes, il y a ceux qui sont tentés de composer avec les nouvelles réalités (les deux beaux-fils, Laurent et Arthur) au discours girouette si bien joué. Celles qui s’en échappent – Anne (Brochet), fidèle à son père et Emmanuelle (Béart) la psychanalyste préoccupée par son désir sexuel. Et ceux qui, comme le couple Audrey (Bonnet)-Denis Podalydès, se réfugient dans la musique atonale (révolutionnaire, donc), ce dernier développe même un bégaiement des plus politiques…
Performances d’acteurs
Architecture repose solidement sur des comédiens (pour lesquels elle a été écrite) qui réalisent tous une performance. Audrey Bonnet dans un jeu extrêmement physique, Stanislas Nordey dans une posture qui devient par moments statuaire, Laurent Poitreneaux se transformant littéralement de scène en scène, Emmanuelle Béart maniant savamment l’humour, Marie-Sophie Ferdane proposant, quand il le faut, une scansion érotique et assassine… Avec la parole, les acteurs sont la chair de la pièce et occupent entièrement le plateau de la Cour d’Honneur dont le décor – horizontal et non vertical comme on aurait pu imaginer dans ce lieu – se limite à quelques meubles blancs baignés de lumière.
Le public, très réceptif dans la première moitié de la pièce (qui dure en tout près de quatre heures) a ensuite montré quelques signes de fatigue. "Je fais des pièces longues pour tester l’attention de mon époque", a expliqué ce 5 juillet Pascal Rambert à ceux qui étaient venus l’écouter au Cloître Saint-Louis.
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