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Festival d'Avignon 2022 : "Le Nid de cendres", une merveilleuse et étonnante épopée de treize heures au pays des contes

La compagnie Le K et le jeune metteur en scène Simon Falguières offrent un voyage hors du temps au coeur d'un monde féerique. Un spectacle drôle et sans longueur malgré ses treize heures de jeu. 

Article rédigé par franceinfo Culture - Jérémie Laurent-Kaysen
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
"Le Nid de Cendres" de la compagnie Le K, en 2022.  (CHRISTOPHE RAYNAUD)

Le calme avant la tempête. A 10h du matin, le théâtre de La FabricA est bien paisible. Les premiers spectateurs arrivent, un café à la main, presque prêts pour l’épopée théâtrale qu’ils s’apprêtent à vivre. "Mon maximum, c’était trois heures. Je n’ai encore jamais vu de spectacle aussi long", nous confie Agathe, en s’étirant une dernière fois avant d’aller chercher sa place. Jusqu’au 16 juillet, la compagnie Le K du jeune metteur en scène Simon Falguières s’installe au Festival d'Avignon pour présenter leur nouvelle création : Le Nid de cendres, une épopée théâtrale de treize heures. Un format qu’ils osent pour la première fois. "Je suis persuadé que la longueur est populaire. Elle ouvre sur une structure en feuilleton, sur des personnages récurrents auxquels on s’attache", expliquait le metteur en scène à nos confrères de Libération, il y a quelques jours.

Simon Falguières a 34 ans et rêve de ce spectacle depuis plusieurs années. "Ma mère est professeure de français dans un collège breton. Un jour, elle m’a dit : je découvre certains enfants qui ne connaissent plus les contes. Ces enfants semblent perdus émotionnellement. Ce constat m’a profondément marqué", raconte-t-il. Alors qu’il finissait sa formation à la classe libre du cours Florent, un enseignant lui propose de diriger le dernier stage de la formation. En découlent les premières lignes de ce spectacle, qu’il joue avec sa compagnie deux étés de suite dans un jardin en Charente et aujourd’hui dans le festival In d’Avignon.

"Une pomme coupée en deux"

11 heures tapantes. Le public entre et inonde la moitié de la grande salle. Une jeune femme, dans une robe longue faite du même velours que le rideau du théâtre avance les yeux bandés. Accompagnée par son père, Sarah sera la conteuse. Pendant ces treize heures, c’est elle qui donnera le rythme, annoncera les entractes, comptera le public pour voir ceux qui ont eu le courage de rester et ceux qui n’ont pas tenu le coup. "Ce soir nous parlerons d’un fruit. D’une pomme coupée en deux, en deux mondes. Deux mondes comme deux moitiés qui flottent sur l’océan de la marmite à confiture", clame-t-elle, debout sur une chaise, les bras tendus. Elle raconte la naissance de deux enfants, Gabriel et Anne. D’après la prophétie, le premier deviendra roi. La deuxième, elle, est déjà une princesse. Ils ne vivent pas dans le même pays mais sont pourtant destinés à se retrouver pour sauver un monde au bord du chaos.

"Le Nid de Cendres" de la compagnie Le K, en 2022.  (CHRISTOPHE RAYNAUD)

Pour mener à bien cette pièce utopique, dix-sept comédiens s’activent sur les planches de la FabricA. Ils jouent une soixantaine de personnages au total et enfilent plus de 200 costumes. Dans cet univers, on rencontre de drôles de personnes : Françoise, ancien président de la République reconverti en diseuse de bonne aventure ou encore Argan, chef un peu fou d’une troupe itinérante, passionné de théâtre classique.

Pour captiver le public pendant une aussi longue durée, plusieurs ingrédients sont nécessaires. Aucun problème pour Simon Falguières qui connaît la recette par cœur : les personnages sont attachants, ils nous émeuvent et nous font rire. Ils chantent, courent, crient, dansent, jouent de la musique. La scénographie, elle aussi, n’en finit pas de nous surprendre. En une fraction de seconde, nous quittons le château fleuri du roi et de la reine pour le théâtre des campagnes. Puis la cave d’un hôpital lugubre pour les sentiers illuminés d’une forêt enchantée.

Une pièce empreinte d’intertextualité

Midi. Pause d’une heure pour manger et souffler. "Vous pouvez rompre le jeûne et aller vous sustenter", crie Sarah la conteuse, se faufilant devant le rideau. "Mais restez ! Le plus profond de notre traversée reste à venir". Un food truck devant le théâtre vient en aide aux affamés. "J’ai l’impression de regarder une série !", raconte Marie, qui s’installe à une petite table pour manger sa salade. "On fait des pauses entre chaque épisode mais on les enchaîne parce qu’on veut absolument savoir la suite". Dans l’herbe, certains s’accordent un petit somme. "C’est fatigant d’être spectateur. Rester assis sans bouger pendant treize heures, c’est aussi une prouesse !", souffle Maxime, des lunettes de soleil sur le nez, prêt à s’endormir quelques minutes. En réalité, le spectacle ne dure pas exactement treize heures, mais plutôt neuf heures, sans compter les entractes. Toutes les heures, le spectateur peut s’octroyer une pause d’une quinzaine de minutes minimum.

"Le Nid de Cendres" de la compagnie Le K, en 2022.  (CHRISTOPHE RAYNAUD)

Cendrillon, Roméo et Juliette, Antigone… Le nid de cendres puise dans la littérature de nombreuses références pour nourrir son récit. Vous ne connaissez pas les 123 écrits de Sophocle ? Ce n’est pas un problème. "Je ne vous connais pas mais ma vie ressemble à vos oeuvres. Vous existez en moi grâce à ma propre histoire", rassure la princesse Anne lorsqu'elle croise William Shakespeare, Homère et Sophocle dans les Limbes. Les emprunts de ce spectacle sont éclectiques et parfois très récents comme ceux volés au discours de François Hollande ou aux chansons de Serge Gainsbourg.

Minuit. Le public se lève et applaudit les comédiens, aux mines fatiguées mais heureuses. A l’exception de quelques départs après la pause déjeuner, tous les spectateurs ont relevé le défi. Yvonne a lutté pour garder les yeux ouverts alors que le spectacle n’avait commencé que depuis une vingtaine de minutes. "Je ne sais pas comment, je vais tenir la suite", nous avait-elle dit. "Ce n’est peut-être plus de mon âge ces formats aussi longs". Pourtant, au moment du salut, elle était la première à se lever pour applaudir. "Une fois la première heure passée, j’étais finalement d’attaque pour les suivantes !", s’amuse-t-elle en sortant du spectacle. "Je me suis vraiment attachée aux personnages, ça me fait mal au cœur de les quitter déjà !".

"Le Nid de cendres", de la compagnie Le K, mis en scène par Simon Falguières - Le 13, 15 et 16 juillet 2022 (13h) - La FabricA - 11 rue Paul Achard

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