Edouard Baer rend la parole à Patrick Modiano au théâtre
Une table, une lampe, quelques feuilles dispersées, des cartes postales d’un autre âge, et entre en scène Edouard Baer, comme surpris dans ce bureau de ce qui doit être un écrivain. Durant une heure et quart, il va nous raconter sa vie ou plutôt celle de Patrick Modiano.
Patrick Modiano a écrit ce court texte en 2005. Il y raconte ses 21 premières années, des bribes d’autobiographie d’où il semble absent, se regardant lui-même de loin. 122 pages et à sa sortie il en disait : « On a l'impression de voir évoluer une troupe de comédiens sans grand talent qui jouent souvent faux. Mais malheureusement, je ne crois pas qu'ils éprouvent un grand plaisir à le faire ».
Cette troupe, ce sont des fantômes, au mieux des silhouettes, enfin des personnages, et ils défilent sur la scène sous les mots de Modiano et la voix de Baer. Impitoyable souvenir d’une enfance grise et triste. Eux, les parents du jeune Patrick « né le 30 juillet 1945, à Boulogne-Billancourt, 11 allée Marguerite, d’un Juif et d’une Flamande qui s’étaient connus à Paris sous l’occupation. »
Un pedigree, une autobiographie comme un constat
« Ces événements je les ai vécus en transparence – ce procédé qui consiste à faire défiler en arrière-plan des paysages, alors que les acteurs restent immobiles sur le plateau de studio » écrit Modiano. Et sur la scène, Edouard Baer ressemble à cela. Un comédien d’avant, un acteur d’époque. On ne sait s’il raconte la vie de Modiano ou bien est-il Modiano. Mais cela n’a aucune importance.Fidèle aux brumes de cette histoire floue, celle de la mémoire et d’un Paris d’après-guerre, Baer nous embarque sillonner les rues, nous donne rendez vous dans les bars ou les halls d‘hôtel avec cette mère absente mais pesante. Elle rêve d’être comédienne, elle sera starlette dans des théâtres minables.
« Je ne me souviens pas d’un geste de vraie tendresse de sa part, j’étais toujours sur le qui-vive. » Il nous emmène dans les pensionnats froids et désespérants de l’enfance de Modiano. Et surtout, il témoigne devant nous de ce face à face raté avec un père écartant le jeune Patrick de sa vue et de sa vie.
L’écriture de Modiano dans la voix de Baer
Des dates, des numéros de téléphone, des places de ville de province, parfois un brin de récit, le style est celui reconnaissable entre tous de Modiano. Il devient monologue. Ce n’est pas une lecture, c’est une voix. Elégante et avec cette touche d’absence, de perdition qui colle si bien aux phrases de l’écrivain. Dans son roman paru en 1996 « Du plus loin de l'oubli », Modiano écrivait : « J’aurais brassé les papiers, comme un jeu de cartes et je les aurais étalés sur la table. C’était donc ça ma vie présente. »Sur la scène du théâtre Antoine, le spectateur regarde ainsi la vie défilant. Lire Modiano est parcourir une vie faite de bribes de souvenirs, d’une mémoire qui s’échappe dans les brouillards. Edouard Baer a miraculeusement trouvé l’allure et le ton pour donner vie à cette existence que rien ne semble retenir. Modiano, peu doué à l’oral déclare qu’il est d’une génération où on n’autorisait pas les enfants à parler, Edouard Baer lui a rendu ainsi la parole.
Découvrez l'interview d'Edouard Baer par Nicolas Lemarignier pour le choix Cultuebox du samedi, sur France 2
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