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Daniel Mesguich va "Au bout du monde" dans le Off d’Avignon, rencontre

Immense acteur et metteur en scène, identifié au théâtre, mais officiant régulièrement au cinéma comme à la télévision, Daniel Mesguich crée, interprète et met en scène "Au bout du monde", d’Olivier Rolin, au Théâtre du Chêne noir dans le cadre du Off d’Avignon. Il nous parle de ce choix et ce qu’il pense de la grand-messe annuelle du spectacle vivant où il se rend depuis des lustres.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Daniel Mesguich (2017)
 (Pascal Elliott)
Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre en scène le texte d’Olivier Rolin ? 
Daniel Mesguich : Il y a plusieurs raisons. Il y en a une première, qui est anecdotique, anecdotique pour les autres, mais pour moi, elle est fondamentale. C’est que je cherchais une pièce à jouer avec ma compagne (Sterenn Guirriec ndlr). Nous cherchions un texte à jouer ensemble. Et je me suis souvenu qu’il y a une quinzaine d’années quand le texte d’Olivier Rolin est sorti - d’ailleurs j’avais fait une lecture de ce texte, plusieurs lectures en fait, en public – que je voulais le monter. Et puis voilà, ça ne c’est pas fait, on est passé à autre chose. Puis tout d’un coup, puisque nous cherchions quelque chose, Sterenn et moi, nous nous sommes dit, "La langue" d’Olivier Rolin, bien sûr. Ça s’appelle "La Langue" en fait.
Daniel Mesguich et Sterenn Guirriec dans "Au bout du monde" de Olivier Rolin mis en scène par Daniel Mesguich
 (Pascal Elliott)
Deuxième raison : C’est que l’un des problèmes fondamentaux aujourd’hui, je dis bien fondamentaux, dans notre monde contemporain, c’est le langage. Ce n’est pas le seul problème, mais c’est un des plus importants. Et il y a aujourd’hui, je crois, en Europe, et peut-être dans le monde, trois langues. Une langue intellectuelle, la langue qu’il y a dans les livres, la langue de ceux qui parlent français, de ceux qui savent ne pas faire de fautes de français, qui pensent, qui réfléchissent, etc… au cinéma, au théâtre, qui lisent des livres… Appelons-la intellectuelle pour aller vite. Puis, il y a la langue du peuple, comme on dit encore, même si le mot sonne un peu XIXe siècle. C’est la langue majoritaire, la langue populaire, la langue qui est sans doute moins affinée, parce qu’elle est moins travaillée, mais elle tout aussi intelligente, tout aussi forte, à sa manière, que la langue intellectuelle. La preuve c’est que cette jeune femme (dans la pièce ndlr) qui ne lit pas de livres, qui n’a pas voyagé, est tout aussi poète que son interlocuteur.

Enfin, il y a l’autre langue, la troisième, la langue horrible, la langue qui abime tout, sans doute celle des médias, mais pas que des médias, la langue des communicants, la langue des transactions, des tractations, la langue de la laideur qui est tantôt – elle peut même être la langue des dirigeants, politiques – la langue, sûrement, des commerciaux, des publicitaires, de la télé… Et les deux première langues ne passent pas à la télé. Ces trois langues sont vraiment les fondements de nos sociétés, aujourd’hui. Au-delà de l’intrigue (de la pièce ndlr) qui est un homme, intellectuel, qui entre dans un café et rencontre une jeune femme qu’il séduit, par son discours, par sa manière d’inventer, de faire de la poésie. Ils doivent faire face à un poste de télé (Alexis Consolato) dans le café . Pourquoi pas ? Et bien au-delà de cette simple intrigue, c’est quelque chose de plus fondamental qui se donne à voir. Alors, ici (dans la pièce ndlr), ça se passe bien, on dit à la télé tais-toi et le peuple avec l’intellectuel font union. Mais dans la vie réelle j’ai peur que cela soit moins optimiste que ça. Il peut arriver que la langue de la télé imbibe nos manières de parler, c’est-à-dire de penser, et de vivre ; de vivre !

Pourtant au début de la pièce vous la débranchez cette télé ? 
Oui, c’est pour dire qu’on ne peut pas l’arrêter, elle est plus forte que tout, elle revient sans arrêt, elle revient comme un fantôme qui vient hanter sur les remparts d’Eleseneur le pauvre Hamlet. Enfin, elle revient, elle ne peut pas ne pas revenir.

C’est une évidence pour vous de présenter cette pièce à Avignon ? 
Pour jouer des pièces à Avignon, il y a d’abord des critères infrastructurels. Si j’arrive avec "Hamlet" de Shakespeare, je ne peux pas. S’il y a 25 acteurs, on ne peut pas jouer à Avignon, cela serait un bouillon financier terrible. Il faut donc déjà écarter les choses un peu trop lourdes, un peu trop difficiles. Parmi les pièces accessibles pour Avignon, là, il n’y a que trois acteurs, c’est faisable, oui, je pense que c’est quelque chose de fondamentale à montrer à Avignon, oui, bien sûr. En même temps, montrer à Avignon… vous savez, Avignon, c’est tout et rien. C’est quelque chose qui a son identité, sa manière de vivre, d’être, mais c’est aussi un simple canal neutre, pour arriver à montrer des spectacles à des diffuseurs, à des critiques, à des spectateurs, j’allais dire captifs. Pas dans le sens commercial, mais dans le sens où ils sont là, là pour voir du théâtre, ils consomment du théâtre.

Alors que si vous faites la même chose, mettons à Paris, c’est dilué, il y a des centaines de gens qui ne vont jamais au théâtre et qui s’en fichent. Là ici, la plupart des gens que vous croisez dans la rue, sont des amoureux de théâtre. Donc c’est sans doute l’endroit privilégié. Mais maintenant, si je vous répondais oui c’est une évidence, qu’en serait-il de "Trahison" de Pinter que j’ai aussi monté à Avignon, ou du "Prince travesti" de Marivaux, que j’ai aussi monté à Avignon. Il y a beaucoup de choses qui s’avèrent des évidences et qu’il faut absolument montrer à Avignon. 
Daniel Mesguich et Sterenn Guirriec dans "Au bout du monde" de Olivier Rolin mis en scène par Daniel Mesguich
 (Pascal Elliott)
Vous personnifiez aux yeux du public une certaine idée du théâtre. Vous venez à Avignon depuis très longtemps…
Oui, depuis très longtemps…

Quel regard posez-vous sur Avignon, qu’est-ce qui a changé au fil des ans ?
Oui Avignon a changé, bien sûr qu’il a changé. D’abord en quantité. Il n’y avait pas de Off au début. Moi, j’ai connu Avignon avec une centaine de spectacles Off, il y en a 1500 maintenant. Evidemment que ça a changé. Tout le reste va avec. Mais je continue à aimer. Je continue à aimer cette étrange réunion de gens. J’ai toujours eu le sentiment qu’on était dans "Astérix", vous savez il y a la grande confrérie des Druides de toute la Gaulle qui se réunit dans la forêt ("La Serpe d’or" ndlr). Eh bien, j’ai l’impression que c’est ça. Voilà, j’ai l’impression que tous les gens de théâtre, et hop, tout d’un coup, se réunissent dans un point géographique, bien précis. Alors c’est plutôt rigolo pour ça, plaisant, agréable.

Maintenant, je peux aussi ne plus être tellement heureux de voir que sur les 1500 spectacles – je n’ai presque rien vu, avec le petit bébé que je viens d’avoir, je ne sors presque pas – mais je pense que sans être méchant, je pense qu’il y en au moins 1000 sur les 1500 qui sont très mauvais. Mais vraiment très mauvais, c’est-à-dire amateurs, ridicules. Parce qu’après tout, comme c’est ouvert, et tant-mieux que ce soit ouvert, n’importe quel élève de première année du cour Machin peut dire, moi aussi, j’ai mes copains, et hop ! ont fait un spectacle. Au même titre qu’un Laurent Terzieff ou un Michel Bouquet réunis. Alors, évidemment, c’est toujours un peu compliqué de savoir, dans ce monde-là, ce qui se passe.

Mais, sur les 500 qui resteraient, admettons, il n’est pas scientifique mon calcul, il y en a sûrement une centaine de passionnants, une vingtaine de magnifiques, et 34 de géniaux. Ça suffit pour justifier le tout. Tout simplement.

Au bout du monde
De Olivier Rolin (d'après "Le Langue")
Mise en scène : Daniel Mesguich
Avec Sterenn Guirriec, Daniel Mesguich et Elexis Consolato 

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