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Christophe Honoré fait revivre ses "Idoles" des années sida au Théâtre de l'Odéon
Dans "Les Idoles" au Théâtre de l’Odéon, Christophe Honoré rend à la vie ses artistes vénérés, victimes du sida, dont il n'a pas fait le deuil. Une fresque tout sauf mortifère : tendre, drôle et nostalgique.
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Quel est le point commun entre les cinéastes Jacques Demy et Cyril Collard, le critique Serge Daney, l’écrivain et photographe Hervé Guibert, les dramaturges Jean-Luc Lagarce et Bernard-Marie Koltès? Ils sont tous mort du sida.
Un héritage trop vite oublié
Etudiant breton dans les années 90, passionné de cinéma et de littérature, Christophe Honoré ne rêvait que d'une chose : rencontrer ses modèles, ses parrains, homosexuels comme lui. Mais quand il arrive à Paris, ils étaient déjà tous morts. Aujourd’hui par la magie du théâtre il les fait revivre et rappelle tout ce qu’il leur doit et bien sûr tout ce que nous leur devons, nous aussi.Dans un sous-sol de métro avec faïence blanche et panneau publicitaire invitant à rêver, Honoré évoque en voix off son arrivée dans la capitale, sa découverte d’un spectacle, "Jours étranges" du chorégraphe Dominique Bagouet, mort lui aussi du sida peu de temps auparavant. Sur la musique des Doors "When the music is over", les comédiens se muent alors en grands oiseaux battants des ailes.
Honoré imagine la confrontation des six artistes dans des situations où affleurent leur culture, leur humour, leur goût de la provocation. Il le fait selon le même procédé que dans "Nouveau Roman", son spectacle qui réunissait les figures marquantes des Editions de Minuit.
A chacun sa façon de vivre la maladie
Pendant deux heures, Ils se jaugent, se disputent, se consolent. Faut-il afficher son homosexualité ou la cacher ? Assumer la maladie ? Chacun a une réaction différente. Hervé Guibert interprété tout en sobriété par Marina Foïs, la révèle dans son roman "A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie". Cyril Collard, incarné par un remarquable Harrison Arévalo, en fait une œuvre, "Les Nuits fauves" et dans une séquence rêvée, Honoré lui fait remercier le jury des César de lui en avoir décerné quatre : la réalité fit que le jeune cinéaste mourut quelques jours avant la cérémonie. Bernard-Marie Koltès (Youssouf Abi-Ayad) rebaptisé Bernard-Marie Tristesse promène son spleen puis brusquement se met à danser sur "La fièvre du samedi soir", rappel peut-être un peu énigmatique que le dramaturge avait écrit un texte pour John Travolta. Jean-Luc Lagarce, lui, s’agace d’avoir été figé dans la posture de Prince des lettres ou de porte-drapeau.Catherine Deneuve assise dans le public s'amuse et applaudit son double sur scène
Quant à Jacques Demy, refusant d’assumer sa bisexualité, il tient ses amis à distance : "vous avez un côté groupe à risque". Il est formidablement incarné par Marlène Saldana, véritable bête de scène. En talons aiguille et manteau de fourrure, sa chorégraphie sur la chanson "Jour d’été" des "Demoiselles de Rochefort" est une sorte de coming out désopilant et tragique. Catherine Deneuve, la vraie, interprète iconique de Jacques Demy, assise dans la salle de l'Odéon juste en face de nous, rit et applaudit tant de talent et de salvatrice irrévérence.Honoré reconstitue l’époque par une multitude de petites touches : rappelle combien même les premières célébrités victimes de la maladie étaient considérées comme des pestiférés. Tel Rock Hudson hospitalisé en France, obligé d’affréter un avion privé pour rentrer aux Etats Unis, aucune compagnie aérienne n’acceptant de le faire voyager.
Une fête imaginaire gaie et tragique
Liz Taylor intervient aussi, jouée à nouveau par Marlène Saldana, en reprochant au groupe des six de ne pas s’engager d’avantage. Là on est dans la fiction, dans la réalité c'est Line Renaud qu'elle a sensibilisé à ce fléau et qui cherchera à faire bouger les esprits en France. Mais Honoré n’a pas peur de la fiction, n’a pas peur de brosser un tableau un peu plus large que le destin individuel de ses six idoles : on notera d’ailleurs son impressionnant travail de documentation, même s’il y a parfois un sentiment de fouillis, peut-être à force de vouloir trop en dire.Parmi les récits qu’on retiendra, il y a celui d’Hervé Guibert qui ne put accompagner son maitre Michel Foucault dans la mort, car on lui avait interdit l’accès de sa chambre. Christophe Honoré en écrivant "Les Idoles" reproduit sans doute cette multiple tristesse de n’avoir pu assister aux derniers instants de ces personnages qui ont influencé sa vie ; tristesse dont il essaie de se guérir en organisant cette sorte de fête imaginaire, gaie et tragique, qui nous touche énormément.
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