Cet article date de plus de cinq ans.

Christian Gonon ressuscite Pierre Desproges au Studio-Théâtre de la Comédie-Française

Desproges ressuscite grâce à Christian Gonon, de la Comédie-Française, qui reprend "La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute", phrase paraît-il prononcée lors d’un entretien avec Riou et Pouchain. Cette heure et quart exquise passée au Studio-théâtre de la Comédie-Française fut créée en 2002, et nous revient régulièrement depuis.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Christian Gonon évoque Desproges
 (Christophe Raynaud Delage)

Formules imparables

C’est un horaire inhabituel pour le Studio-Théâtre : 20 heures 30. Et une belle performance pour Gonon qui a joué Musset deux heures plus tôt. L’"écriveur de textes", comme se qualifiait Desproges, revit dans la variété de sa plume et c’est d’ailleurs peut-être cela qui frappe : des formules imparables (on se régale à "La qualité principale d’un ami réside dans sa capacité à nous décevoir" qui pourrait être de La Rochefoucauld), des petits récits cruels (celui du chauffeur de taxi qui n’"aime pas les Arabes"), quelques-unes de ses phrases interminables et si précisément construites au vocabulaire soigneusement imagé mais aussi d’autres aventures plus simples qui pourraient constituer des nouvelles de Maupassant ou de Marcel Aymé : voir la belle histoire de cette créature "superbement inhabituelle" dont Desproges est évidemment follement amoureux et la manière brutale, impitoyable, dont cet amour jamais réalisé tombe à l’eau (au sens propre).
Christian Gonon ressuscite Pierre Desproges au Studio-Théâtre
 (Christophe Raynaud Delage)


Tout est burlesque et féroce

Le choix des textes et leur continuité sont de Gonon, ses metteurs en scène, Marc Fayet et Alain Langlet, font un joli travail de dentelle : il n’y a rien de plus difficile qu’un "Seul en scène" ! Quelqu’un d’autre aurait choisi autre chose, aurait agencé autrement mais cela n’a aucune importance. Tout est signifiant, tout est burlesque et féroce, tout flirte avec l’absurde mais c’est la vie même qui l’est, jusque dans la manière dont le spectacle s’ouvre et se ferme, sur le fait que "je vais mourir. Mais on va tous mourir. Oui, mais moi je vais mourir ces jours-ci". Sur le fait que, donc, un crabe est en train de lui grignoter le poumon, alors "je suis allé dans une guinguette amie, et j’y ai bouffé un tourteau ; ça nous fait un partout".

Le crabe

Le hasard nous a fait croiser Pierre Desproges pendant une grande heure : c’est peut-être pour cela que nous avons longtemps attendu pour voir ce spectacle-hommage. C’était dans le cadre de l’émission de Bernard Rapp, "L’assiette anglaise", dont nous étions un des journalistes. Desproges, invité-témoin, nous avait rendu visite en février 1988, avec son humour mélancolique et sa très grande courtoisie, sa disponibilité. Rien n’indiquait qu’il fût malade. C’est pourquoi sa mort, deux mois plus tard, nous bouleversa plus encore qu’elle nous surprit. C’était dix-huit ans avant que Bernard Rapp lui-même ne mourût du même crabe. C’est cette pudeur de l’un et de l’autre, cette manière de ne pas se mettre en avant quand tant et tant (et de plus en plus) portent en étendard leur propre vacuité, qui nous a rendu précieux ce spectacle, cette voix feutrée de Desproges capable aussi de violentes colères quand il s’agissait de quelques principes (et de ce point de vue l’élégant, le "british" Bernard Rapp lui ressemblait).
Christian Gonon
 (Christophe Raynaud Delage)

"Le labeur du clown"

Ainsi du récit à propos de la phrase d’un critique de cinéma : "Ce film (de Claude Zidi) n’a comme unique prétention que de nous faire rire" qui déchaîne les foudres d’un Desproges traitant le critique non nommé d’"incontinent crétin". La raison de cette ire ? Donner à croire que faire rire est simple, se réussit comme en dormant. La démonstration de Desproges reflète sa blessure, dont suinte cette interrogation magnifique : "Le labeur du clown se ferait sans la sueur de l’homme qu’il est?" Et l’on imagine un Desproges, chaque jour que fait Dieu ou le hasard, rabotant son texte jusqu’aux derniers instants, qu’il soit écrit pour être dit ou pour être lu (et il faut lire Desproges, autant qu’il faut aller écouter Gonon).

Un Christian Gonon à qui on fera un ou deux (petits) reproches : celui de quelques phrases (trop) connues et sans doute inutiles (l’éternité de Woody Allen "trop longue, surtout vers la fin", la comparaison, signée Desproges lui-même, entre la queue du chien et Jean-Marie Le Pen, car qui est Jean-Marie Le Pen aujourd’hui ?) Celui, parfois, de ne pas assez rendre la scansion si particulière de la phrase de Desproges. On lui rendra grâce en revanche d’être AUSSI un acteur physique : très joli moment que celui où il danse un tango avec une femme imaginaire, comme on eût rêvé que Desproges le fît avec Françoise Sagan lorsqu’il l’"interviewa".

"Quant au mois de mars, je le dis sans arrière-pensée politique, ça m’étonnerait qu’il passe l’hiver". Desproges, lui, passa l’hiver et mourut en avril. Il n’est pas ajouté, dans le beau spectacle de Gonon, Lenglet et Fayet, cette phrase qui fut le titre d’un roman de Robin Cook et d’un film sorti à la même époque : "Les mois d’avril sont meurtriers".


"La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute", textes de Pierre Desproges réunis et dits par Christian Gonon, mise en scène d’Alain Lenglet et Marc Fayet

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.