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Au théâtre du Châtelet, un très sobre "Gatsby le Magnifique" de Scott Fitzgerald autour du rappeur Fianso en Gatsby

Sofiane Zermani, de son nom de rappeur Fianso, incarne Gatsby, le flamboyant personnage du roman de Francis Scott Fitzgerald, au Théâtre du Châtelet, dans un spectacle sobre qui tient presque de la lecture à plusieurs voix.

Article rédigé par franceinfo Culture - Bertrand Renard
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
"Gatsby le magnifique" au Théâtre du Châtelet à Paris, le 15 février. Pascal Rénéric est Nick (à gauche), Lou de Laâge est Daisy (au centre) et Sofiane Zermani, alias Fianso, est Gatsby (à droite). (HELENE PAMBRUN)

On l’avoue, on a été extrêmement et agréablement surpris l’autre soir de l’affluence du public - gens jeunes, trentenaires et moins encore - aux portes du vénérable théâtre du Châtelet, plusieurs des spectateurs autour de nous reconnaissant d’ailleurs qu’ils n’en avaient jamais franchi les portes…

On a mieux compris le pourquoi : reflet de cette France segmentée, et le domaine culturel fait sacrément partie de cette segmentation, nous n’avions quant à nous jamais entendu parler de Zermani, alias Fianso, dont évidemment beaucoup de fans étaient présents. Des fans qui l’auront vu dans un autre registre, où il ne chante pas, où il incarne un des personnages les plus flamboyants de la littérature, qui est aussi un des destins les plus tristes puisque Gatsby décède lors d’un fait-divers absurde en tentant de protéger celle qu’il aime.

Fianso, mais pas seulement

Fianso, donc, ne chante pas. Pas du tout. Il joue. Et à la fin (le spectacle est d’une durée intéressante, une heure dix pour raconter, très bien, un destin), des applaudissements nourris l’accueillent : il s’avance alors, pousse, geste de star du chant, "ses" spectateurs à faire monter encore l’ambiance et finit en formant de ses deux mains un cœur, remerciement aux admirateurs dont il n’est pas sûr (mais qu’en sait-on ?) qu’ils aient lu Gatsby (peut-être au moins auront-ils vu les adaptations cinématographiques qui ne lui rendaient pas forcément hommage). 

Pascal Rénéric (Nick), Sofiane Zermani (Gatsby) et Lou de Laâge (Daisy) dans "Gatsby le magnifique" au Théâtre du Châtelet, le 15 février.  (THOMAS AMOUROUX)

Or, justement, il serait injuste de réduire ce Gatsby - là à la forte présence d’un rappeur, aussi charismatique soit-il. Le projet vient de France Culture, qui l’avait expérimenté au festival d’Avignon, sans doute dans un format plus réduit. Là, il faut habiller l’immense scène du Châtelet. Le metteur en scène, Alexandre Plank, a trouvé la solution. Sur fond noir brillant avec lumière dorées vers nous, les intervenants occupent la scène en demi-cercle : le pianiste et compositeur Issam Krimi à jardin, un trompettiste, Shems Bendali qui, parfois, surgit de l’ombre, un quatuor à cordes au centre, quatre intervenants qui forment une sorte de chœur (parlé) : la rumeur, les amis ou convives de Gatsby.

Partition originale 

C’est Krimi qui, du piano, impulse la musique qu’il a composée, qui n’est ni du hip-hop ni de la pop ni du jazz ni du classique mais la jolie partition d’un homme nourri de toutes ces influences, partition qui a la qualité de venir à des moments précis, comme des ponctuations bienvenues, sans noyer le spectacle.

Pascal Rénéric (Nick), Lou de Laâge (Daisy) et les musiciens dans "Gatsby le magnifique" au Théâtre du Châtelet, le 15 février.  (THOMAS AMOUROUX)

Tous sont surélevés, laissant le devant de scène (avec micro) aux trois protagonistes. Car l’adaptation (de Pauline Thimonnier) se limite à Gatsby, à celle qu’il aime, Daisy, la jeune femme volage, et au narrateur, Nick. Simplement évoqués (souvent par Nick), le mari de Daisy, Tom, ou Molly, la maîtresse de Gatsby qui sera cause de sa mort.

Lucidité de Fitzgerald

La villa de Gatsby est une des plus belles de Long Island, une des plus vastes, où il reçoit lors de fêtes somptueuses, jetant l’argent à flot, de l’argent dont on ne sait la provenance, et la saura-t-on ? Voisin, ce Nick, dans une villa modeste et c’est aussi par comparaison avec elle que celle de Gatsby paraît si gigantesque. Nick et Gatsby font connaissance et développent une sorte d’amitié. Gatsby, personnage recherché et en même temps méprisé, à cause de sa fortune douteuse, de ses manières un peu ostentatoires, du "too much" de ses manières, quoiqu’il se prétende élevé à Oxford et détenteur de la meilleure éducation… britannique.

On suit ce récit, ce qui évitera peut-être de le lire, ou qui (dans notre cas) nous le remettra en mémoire, avec cette mélancolie proustienne très bien rendue dans ce décor sombre et chic (Fitzgerald est un des rares auteurs américains, eux plutôt d’une écriture nette, ramassée, concise, à faire de longues phrases, ce qui en rend et la traduction et l’interprétation assez complexes) qui était aussi la lucidité d’un homme : Fitzgerald, fêtard lui-même mais ayant la prescience que ce monde de lumières, de plaisirs et d’illusions, allait finir, sombrer dans la dépression économique de 1929.

Pascal Rénéric, le narrateur, maintient l'attention

Le roman est de 1925, le spectacle ne cherche pas à le moderniser, on est dans le "jus" de l’époque, mais qui peut tant parler à la nôtre. En fait le vrai "triomphateur", celui qui a un rôle écrasant, est le narrateur, Pascal Rénéric, remarquable de bout en bout dans le rôle de Nick, car il tient le spectacle en maintenant l’attention vraie de cette immense salle. Sofiane Zermani a parfois un peu de mal avec les longues phrases mais il impose sa présence, cette élégance inquiète de Gatsby, personnage lucide sur ce qui est dit de lui dans son dos. On ne veut pas faire de la psychologie de bas étage mais Zermani s’est-il un peu retrouvé en Gatsby ?

Enfin Lou de Laâge est une ravissante Daisy, mutine, amoureuse, volage, insouciante, puisqu’elle oubliera Gatsby en quelques heures. Quant aux nombreux amoureux de Gatsby (le texte), un des plus "culte" du XXe siècle, ils entendront le cœur serré la fameuse phrase de conclusion : "C’est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé". Fondu au noir, où s’est enfoncé Gatsby.


Gatsby le magnifique, d’après Francis Scott Fitzgerald. Mise en scène d’Alexandre Plank, musique d’Issam Krimi. Théâtre du Châtelet, Paris, les 18 et 19 février à 20 heures, le 20 février à 15 heures.

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