"Aime comme Marquise" au Théâtre La Bruyère : un joli spectacle sur Thérèse Du Parc, comédienne qui connut Molière, Racine et Corneille
Un très bon spectacle au Théâtre La Bruyére, porté par un bouche-à oreille mérité : "Aime comme Marquise" de Philippe Froget, mise en scène par Chloé Froget.
Il faut d’emblée féliciter la persévérance d’une équipe : monter la pièce d’un auteur peu connu, "Aime comme Marquise", avec des acteurs fort peu connus eux-mêmes, dans un grand théâtre parisien (La Bruyère) qui "essaie" l’œuvre deux jours par semaine (dont le lundi, habituel jour de relâche). Et réussir un bouche-à-oreille qui fait que la salle où nous entrons, sans être pleine, est honorablement remplie.
Pour que nous constations, au bout d’une heure quarante de spectacle, que ledit bouche-à-oreille, non content de rencontrer en écho l’année Molière à travers l’histoire qui nous a été contée, nous a conduit pas à pas vers une émouvante évocation, à la fois vive et intelligente, très joliment mise en scène et sans temps mort, d’un personnage qui a su piquer notre curiosité. A travers deux actrices : Thérèse Du Parc, comédienne et danseuse insolente, insoucieuse et ambitieuse au début, la Du Parc ensuite, sacrée star, si ce mot pouvait s’appliquer au siècle de Louis XIV, après sa création du rôle-titre de l’Andromaque de Racine…
La Du Parc -ou Marquise, son surnom, donné par celui qui la découvrit, le comédien Gros-René qui fut son mentor, son admirateur puis son mari, Du Parc de son vrai nom, comédien de la troupe de Molière à l’époque où celle-ci, depuis Pézenas, parcourait la France – Marquise donc, avait fait l’objet d’un film moyen, Sophie Marceau étant Marquise, Lambert Wilson Racine, Bernard Giraudeau Molière, Patrick Timsit Du Parc et Thierry Lhermitte Louis XIV. Les comédiens d’aujourd’hui n’ont pas cette réputation. Ils sont cependant, dans leurs multiples rôles (puisqu’ils sont quatre), remarquables.
Dans un beau décor de loge à l’ancienne -secrétaire marqueté, paravent élégant- une jeune femme reçoit au soir d’Andromaque. Ce visiteur, qu’elle est réticente à accueillir, s’appelle La Reynie, il est Lieutenant général de la Police, autant dire ministre de l’Intérieur (il le restera trente ans) et il veut son avis sur une affaire qui nous paraît futile (à elle aussi !) : la paternité des pièces de Molière rendue à… Corneille.
Quand Marquise se dédouble
Ce prétexte qui lance la pièce n’est pas la meilleure idée de l’auteur, Philippe Froget ; de même qu’on a un peu de mal, au début, à se rendre compte qu’il y a une utilisation des alexandrins -pas constante- car les comédiens ne les font pas entendre toujours parfaitement. Et puis on s’y fait, et à un texte bien écrit (On a les mêmes mots et les mêmes valeurs / Quand on a fréquenté les mêmes professeurs) et, surtout, à une mise en scène très intelligente et dynamique de Chloé Froget, la pièce démarrant vraiment quand Marquise se dédouble.
Elle se dédouble par un dispositif tout simple, le haut de la scène où Marquise, actrice confirmée qui joue Racine, raconte à La Reynie ses débuts d’actrice, représentés sur la partie basse de ladite scène. Des jeux de miroir, des grands draps lancés, sépareront à plusieurs moments les deux parties, le haut restant toujours dévolu à la rencontre de Marquise (jouée par Aurélie Noblesse) et La Reynie. Une Marquise assagie par rapport au feu-follet qu’elle était toute jeune (c’est Chloé Froget elle-même qui joue cette Marquise-là,) danseuse plus ou moins fille des rues dont Gros-René tombe éperdument amoureux.
Les débuts de Molière et de Racine
La pièce, au-delà du prétexte initial, nous raconte des épisodes moins connus de ce temps-là, qui sont les débuts de Molière et de Racine, avec la présence d’un Corneille, presque vieillard onctueux qui va évidemment tomber amoureux lui aussi de cette tornade (pour qui il écrira, car elle le repousse, le fameux Marquise si mon visage / A quelques traits un peu vieux / Souvenez-vous qu’à mon âge / Vous ne vaudrez guère mieux) On s’instruit ainsi, en se distrayant, sur Molière à l’époque de Pézenas, la rivalité de Marquise et Madeleine Béjart (qui expliquera peut-être que Marquise et Gros-René quittent la troupe), les débuts de Racine aussi dont Marquise, veuve de Gros-René, deviendra la maîtresse et créera donc l'Andromaque, premier succès considérable de ce jeune homme de 27 ans…
On découvre incidemment que Molière avait décidé de jouer les pièces de Corneille… à la manière de Molière (c’est-à-dire vite, sans déclamation, à l’emporte-pièce) et bien sûr cela donne lieu à une scène très amusante entre Molière et un Corneille mécontent que l’entrée de Marquise va… amadouer !
D'excellents comédiens
Un autre personnage fait lui aussi ses débuts, le jeune Louis XIV, amateur de danse et qui sera séduit à son tour par l’abattage de Marquise -quant aux relations qui ont eu lieu entre eux, ou non, on n’en saura pas plus, et d’ailleurs qu’en sait-on ? Noblesse et Forget, excellentes, on ne va pas dire la "vieille" et la "jeune" Marquise, car elles n’ont que quelques années de différence dans l’incarnation qu’elles en font. Les deux hommes qui jouent tant de rôles sont remarquables aussi : Xavier Girard qui incarne La Reynie, un Corneille onctueux et désopilant, enfin un d’Artagnan à l’accent gascon adéquat -celui-ci étant aussi le garde du corps personnel du roi.
Formidable enfin Christophe Charrier qui fait Molière en habit… vert, le jeune Racine, le touchant Gros-René, un Jean de La Fontaine papillonnant dans une jolie scène, enfin Louis XIV -et, par rapport à Gros-René, on dirait qu’il a rajeuni ! Un Louis XIV de 20 et quelques années qui sait déjà comme personne exercer son métier de roi.
La fin brutale de Marquise est évoquée aussi. Contredisant le film qui la voyait empoisonnée, car on sait depuis qu’il s’agissait d’une autre Marquise… La Du Parc, en fait, mourut très probablement d’un avortement mal réalisé. Elle avait 35 ans. Aime comme Marquise, on l’a compris, en la ressuscitant, fait mieux qu’une bonne action : un bon spectacle.
Aime comme Marquise de Philippe Froget, mise en scène de Chloé Froget. Théâtre La Bruyère, Paris, le dimanche à 16 heures et le lundi à 20 heures jusqu'au 20 juin (on espère une reprise!)
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