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"Etre ou paraître" : Pietragalla et Derouault dans une danse théâtrale époustouflante
Plus que jusqu’au 4 février pour voir "Etre ou paraître", une rare rencontre entre la danse et le théâtre par un duo rien moins que mythique : Marie-Claude Pietragalla, metteuse en scène, et Julien Derouault, co-chorégraphe et danseur. Seul en scène, il exécute une chorégraphie frénétique sur des textes de Shakespeare et d’Aragon, sublimée par la musique hypnotique de Yann Quenel : exceptionnel.
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A nu
Une scène nue, un homme presque nu. Le mouvement, la musique, puis le verbe. Ascèse d’une expression dès le premier œil, puis la première écoute. Ascèse. Par le geste, le mouvement, le rythme, un accord évident, transparent. D’entrée, l’on perçoit l’Art. Certains réduiront la représentation à une "performance". L’on est loin du compte. Non, il s’agit d’art, d’art total. Dans la retenue. L’expansion. Absolu.Evidemment Julien Derouault impressionne par sa beauté sculpturale, sa maîtrise corporelle et la déclamation. Mais cela serait réducteur. C’est un tout. S’il y a performance, elle est au service d’un sens, un sens unique et pluriel. S’agissant d’art, donc de poésie, sujet au cœur d’"Etre ou paraître" et de son rapport à l’humanité. C’est tout le propos. Un homme au cœur de la nuit, face à lui-même, de ses doutes, de ses convictions, de son être. L’être, c’est l’âme. Sur scène : une âme mise à nu. Mais sans ostentation ; pure : un être humain, homme ou femme, l’humanité. Toute entière.
Quand il ne danse pas sur la musique, c'est sur les mots
Un déchirement, une question : qui sommes-nous ? Dans le geste, la geste (mot médiéval pour qualifier le récit), et la mémoire. Exprimé(e) par le corps. Comme une vindicte, une lutte permanente. Julien Derouault fait non seulement preuve de ses extraordinaires talents de danseur, dans toutes ses mouvances - des "stops", des enchaînements impressionnants - mais aussi dans ses talents d’acteur, dans sa diction, son jeu. Quand il ne danse pas sur la musique, c’est sur les mots. Magnifique. Impressionnant. C’est une parcelle des joies d’"Etre ou paraître". Le rythme musical alterne avec celui des mots, dans une symbiose parfaite, coulante, fusionnelle.Une inventivité du sujet, de mise en scène, d’intention, d’exécution qui répondent exactement au projet de Piettragalla/Derouault annoncé dans celui de l’intitulé de leur compagnie : "Théâtre du corps" : le verbe par la danse. Ici Shakespeare et Aragon, sans fioriture, naturelle, sublimement exécutée, avec sincérité, communicative, jusqu’à un dialogue avec le public, restaurant ainsi l’art scénique antique qui n’était qu’échange. Notion trop oubliée. Avec laquelle, il, elle, ensemble, invitent et renouent.
Et la musique ? Extraordinaire. Signée Yannaël Quenel, elle joue sur des ambiances électroniques rappelant le meilleur de Tangerine Dream (pionnier de la musique "planante" des années 70), et de Squarpusher (avant-gardiste électro contemporain). Avec également des partitions originales au piano, évocatrices des tonalités de Georges Ivanovitch Gurdjieff et de Mr. de Hartmann (proche de "Mr. G", acousticien de la salle Pleyel en 1921). Une source ésotérique en phase avec le sens d’"Etre ou paraître". L’âme humaine sur scène. La poésie. Un art complet : sublime.
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