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Le Festival d'Avignon, entre "vitrine du théâtre mondial" et "Nuit debout"
Le Festival d'Avignon a connu depuis sa création en 1947 par Jean Vilar de multiples crises de croissance, sur lesquelles revient Antoine de Baecque, auteur avec Emmanuelle Loyer d'une "Histoire du Festival d'Avignon" chez Gallimard.
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Comment est né le Festival d'Avignon ?
Ce qu'on appelait à l'époque "La Semaine d'art" s'est greffée en 1947 sur la plus importante exposition de l'après-guerre, avec Picasso, Braque, Léger etc. exposés dans le Palais des Papes. Le festival n'était qu'une sorte d'appendice voulu par le grand galeriste Christian Zervos, qui avait invité Vilar un peu comme une cerise sur le gâteau. Avec Vilar ça commençait toujours par un "non", par un refus, mais en descendant à Avignon et en voyant la Cour d'honneur du Palais des papes, il s'est dit que c'était un lieu impossible pour le théâtre, et c'est ça qui l'a intéressé. Il avait envie de faire prendre l'air au théâtre.
Le festival passe de 3 spectacles à l'époque à une cinquantaine aujourd'hui, ça ne s'est pas fait sans crise?
Si je devais n'en retenir que trois, je pense d'abord à celle que Vilar a provoquée lui-même en 1966. C'est le 20e Festival, c'est une affaire qui roule avec la troupe du TNP (Théâtre National Populaire), Shakespeare dans la Cour d'honneur, c'est une sorte de grand messe théâtrale, où le "peuple de Vilar" se précipite rituellement. Et là, Vilar casse son jouet, il dit "le succès est une routine" et invite d'autres troupes, sort de la Cour d'honneur, invite la danse avec Béjart, le cinéma. Enfin, il fait d'Avignon le lieu de la discussion sur la culture en France, avec des rencontres, un forum. Il réforme son propre festival, quitte à le mettre en danger, car très vite on va parler de supermarché de la culture, on va parler Révolution, avec le festival mouvementé de 1968, qui est en quelque sorte le produit de cette réforme du festival.
La deuxième crise, c'est la succession de Vilar: à sa mort en 71 le festival est poursuivi par le fidèle Paul Puaux, mais en 80, un nouveau festival se met en place dirigé par un énarque, Bernard Faivre d'Arcier. C'est un moment de basculement, le festival, jusqu'alors financé par la Ville devient un instrument de politique culturelle avec un financement croisé Etat, région, Ville, département, et c'est le moment de l'internationalisation: il devient la vitrine du théâtre mondial. Parallèlement le Off prolifère et Avignon devient "la ville-théâtre".
La troisième grande crise c'est 2005, autour de l'artiste flamand Jan Fabre. Ce qu'on a appelé "la querelle d'Avignon" était surtout une querelle de presse: une partie de la critique dit qu'un fossé se creuse entre le théâtre tel qu'on peut le voir à Avignon et le public. Trop de corps, pas assez de texte, il faut revenir à des choses plus classiques. La crise se résout dans le sens de l'expérimentation et Vincent Baudriller et Hortense Archambault restent à la tête du festival pendant presque dix ans. Avignon est le seul endroit au monde où l'expérimentation rencontre un public très large (120.000 spectateurs).
Comment se situe l'actuel directeur Olivier Py?
"Olivier Py dit qu'il est l'homme de tous les héritages. A la fois il veut proposer un théâtre exigeant, d'avant-garde, quitte à renouer avec le texte, tout en étant très soucieux du théâtre comme un art citoyen. Il y a chez Py l'idée d'une sorte de synthèse. Le festival a des fragilités: Avignon est la plus grande caisse de résonance dans la culture française et donc ultra sensible à l'actualité, qu'elle soit politique comme en 68 ou sociale comme en 2003 lorsque la crise des intermittents entraîne l'annulation du festival. Ce qui rend Avignon fort c'est d'être deux choses à la fois : la vitrine de la scène mondiale d'aujourd'hui, et aussi un forum de débats, le lieu où la parole se libère. C'est à la fois la scène théâtrale et ses Nuits Debout".
"Histoire du Festival d'Avignon" Antoine de Baecque, auteur avec Emmanuelle Loyer (Gallimard - 642 pages - 42 euros, réédition avec une préface d'Olivier Py, parution le 1er juillet).
Ce qu'on appelait à l'époque "La Semaine d'art" s'est greffée en 1947 sur la plus importante exposition de l'après-guerre, avec Picasso, Braque, Léger etc. exposés dans le Palais des Papes. Le festival n'était qu'une sorte d'appendice voulu par le grand galeriste Christian Zervos, qui avait invité Vilar un peu comme une cerise sur le gâteau. Avec Vilar ça commençait toujours par un "non", par un refus, mais en descendant à Avignon et en voyant la Cour d'honneur du Palais des papes, il s'est dit que c'était un lieu impossible pour le théâtre, et c'est ça qui l'a intéressé. Il avait envie de faire prendre l'air au théâtre.
Le festival passe de 3 spectacles à l'époque à une cinquantaine aujourd'hui, ça ne s'est pas fait sans crise?
Si je devais n'en retenir que trois, je pense d'abord à celle que Vilar a provoquée lui-même en 1966. C'est le 20e Festival, c'est une affaire qui roule avec la troupe du TNP (Théâtre National Populaire), Shakespeare dans la Cour d'honneur, c'est une sorte de grand messe théâtrale, où le "peuple de Vilar" se précipite rituellement. Et là, Vilar casse son jouet, il dit "le succès est une routine" et invite d'autres troupes, sort de la Cour d'honneur, invite la danse avec Béjart, le cinéma. Enfin, il fait d'Avignon le lieu de la discussion sur la culture en France, avec des rencontres, un forum. Il réforme son propre festival, quitte à le mettre en danger, car très vite on va parler de supermarché de la culture, on va parler Révolution, avec le festival mouvementé de 1968, qui est en quelque sorte le produit de cette réforme du festival.
La deuxième crise, c'est la succession de Vilar: à sa mort en 71 le festival est poursuivi par le fidèle Paul Puaux, mais en 80, un nouveau festival se met en place dirigé par un énarque, Bernard Faivre d'Arcier. C'est un moment de basculement, le festival, jusqu'alors financé par la Ville devient un instrument de politique culturelle avec un financement croisé Etat, région, Ville, département, et c'est le moment de l'internationalisation: il devient la vitrine du théâtre mondial. Parallèlement le Off prolifère et Avignon devient "la ville-théâtre".
La troisième grande crise c'est 2005, autour de l'artiste flamand Jan Fabre. Ce qu'on a appelé "la querelle d'Avignon" était surtout une querelle de presse: une partie de la critique dit qu'un fossé se creuse entre le théâtre tel qu'on peut le voir à Avignon et le public. Trop de corps, pas assez de texte, il faut revenir à des choses plus classiques. La crise se résout dans le sens de l'expérimentation et Vincent Baudriller et Hortense Archambault restent à la tête du festival pendant presque dix ans. Avignon est le seul endroit au monde où l'expérimentation rencontre un public très large (120.000 spectateurs).
Comment se situe l'actuel directeur Olivier Py?
"Olivier Py dit qu'il est l'homme de tous les héritages. A la fois il veut proposer un théâtre exigeant, d'avant-garde, quitte à renouer avec le texte, tout en étant très soucieux du théâtre comme un art citoyen. Il y a chez Py l'idée d'une sorte de synthèse. Le festival a des fragilités: Avignon est la plus grande caisse de résonance dans la culture française et donc ultra sensible à l'actualité, qu'elle soit politique comme en 68 ou sociale comme en 2003 lorsque la crise des intermittents entraîne l'annulation du festival. Ce qui rend Avignon fort c'est d'être deux choses à la fois : la vitrine de la scène mondiale d'aujourd'hui, et aussi un forum de débats, le lieu où la parole se libère. C'est à la fois la scène théâtrale et ses Nuits Debout".
"Histoire du Festival d'Avignon" Antoine de Baecque, auteur avec Emmanuelle Loyer (Gallimard - 642 pages - 42 euros, réédition avec une préface d'Olivier Py, parution le 1er juillet).
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