Humour : plongez dans l'univers des dénicheurs de talents à la recherche des comiques de demain
Ce sont les chansonniers des temps modernes. De plus en plus nombreux, les humoristes doivent redoubler d'efforts pour espérer tirer leur épingle du jeu et attirer l'œil d'exigeants dénicheurs de talents. Immersion dans la fabrique de l'humour.
Devant les façades rouges du théâtre parisien Le Point Virgule, les passants s’amoncellent sous le soleil déjà déclinant du mois d’août. Rangés deux par deux dans la file d’attente, ils sont là pour assister à un traditionnel "Trempoint", spectacle typique à l’établissement. Plusieurs fois par semaine, la scène s’ouvre à de jeunes humoristes triés sur le volet. Ils présentent, les uns après les autres, quelques minutes de sketch sur une durée totale d’une heure. Ce soir-là, ils sont six, tous ont gagné leur place en réussissant une audition, il y a parfois plusieurs années.
Brian Ravenet, professeur d’université et humoriste à ses heures perdues, s’en rappelle comme si c’était hier. Il y pense et s’y revoit. "On est une quinzaine d’humoristes. On doit montrer en cinq minutes ce qu’on sait faire. Tout le monde se regarde. Il faut mouiller le maillot", narre-t-il avec détermination. Il a la voix grave, un brin traînante et joue sur scène de sa double casquette : il raconte son manque cruel d’autorité devant des étudiants qu’il n’arrive pas à appâter. Le jour de l’audition, le maître de conférences a pourtant réussi à séduire du premier coup Antoinette Colin, programmatrice du théâtre.
Dénicher ceux qui feront rire demain
Dans la capitale, son nom est célèbre chez les humoristes. Son théâtre Le Point Virgule - passage quasi obligé pour ce genre d’artistes - a accueilli les plus grands à l’aube de leurs carrières, comme Florence Foresti, Stéphane Guillon ou encore Chantal Ladesou. Antoinette Colin a pour rôle de dénicher ceux qui nous feront rire demain. Mais lui taper dans l'œil n’est pas aisé : "Je cherche quelque chose qui va me toucher, que je n’ai jamais vu ailleurs. Ça passe souvent par l’écriture, notamment la manière dont un artiste revisite un thème qui semble universel."
La singularité est aussi l’un des critères de Xavier Lebreton, créateur et directeur artistique du Dinard Comedy Festival. "Il ne faut pas chercher à plaire ou à être à la mode. Comme disait Cocteau, la mode, c’est ce qui se démode", rappelle-t-il. Son festival est né en 1998 et a depuis acquis une certaine notoriété. Au programme chaque année : une compétition entre huit humoristes fraîchement débarqués dans le milieu. Lui n’organise pas d’audition pour déterminer ceux qui monteront sur les planches. "J’ai peur que, comme les chanteurs, on me sorte un tube puis plus rien." À la place, il sillonne les théâtres, comedy clubs (des cafés-théâtres dédiés au stand-up) et festivals d’humour à la recherche de la perle rare.
"Bouffer de la scène"
"Je cherche beaucoup à Paris, car c’est très centralisé, mais quand j’arrive dans une nouvelle ville, je regarde s’il y a un café-théâtre. Pour choisir quoi voir, j’observe les affiches, les pitchs et les titres des spectacles", explique Xavier Lebreton. Barbe minutieusement taillée et casquette sur la tête, l’humoriste Guillaume Fosko apparaît souriant sur l’affiche de son spectacle À mi-chemin. Elle a été placardée sur les murs du théâtre La Petite Loge à Paris où il joue depuis octobre 2020. Il continue aussi à tester ses blagues dans d’autres théâtres de la capitale, comme au Point Virgule ce soir d’août.
"Là, je file au Paname Art Café, explique-t-il en sortant de scène. Je vais faire le même passage que celui que je viens de présenter, en le retravaillant. Je m’enregistre, j’écoute, je vois ce qui foire et j'essaie d’améliorer." L’artiste - qui a abandonné son job dans la publicité pour se consacrer à l’humour - joue également au Barbès Comedy Club et au Café Oscar. Pour Antoinette Colin, enchaîner les scènes est une nécessité absolue : "La nouvelle génération est vraiment travailleuse, mais aussi impatiente. Or, il y a un temps incompressible de maturité de jeu, de plateau."
Redoubler d'inventivité
"Parfois les artistes ne sont pas prêts tout de suite, on les repère et on se dit qu'on leur proposera quelque chose dans un an, estime Xavier Lebreton. Pour que ça fonctionne, il faut bouffer de la scène." Le Festival d’Avignon est le lieu rêvé pour mûrir son travail d'humoriste. Nicolas Vital, metteur en scène de Bérengère Krief (entre autres) et directeur artistique du Festival d’Humour de Paris, accompagne chaque année les artistes qu’il suit dans le sud. "Ce sont trois semaines intenses d'entraînement, d’échauffement. Ça leur permet de gagner du temps, six mois de travail", note-t-il.
Le metteur en scène réfléchit avec eux sur les textes, la scénographie et le jeu. "Tous les humoristes n’ont pas fait d’école de théâtre et parfois il peut manquer une certaine théâtralité." Solène Rossignol, dont le spectacle est à l’affiche du Point Virgule jusqu’à la fin du mois d’août, l’a bien compris. Lors de son passage au Trempoint, elle arrive en dansant sur scène, puis affiche un sourire crispé qui lui donne un air résolument comique. Elle use et abuse de mimiques qui la démarquent de ses collègues.
Risque d'uniformisation
Tout pour se distinguer dans un monde où trouver sa place et se faire remarquer devient de plus en plus compliqué. Les propositions se sont multipliées : "Les comedy clubs poussent comme des champignons, analyse Xavier Lebreton, ça ressemble aux cabarets des années 50." Le risque est parfois l’uniformisation. "On n'a jamais eu autant de femmes dans l’humour, affirme Antoinette Colin, mais il n’y a pas assez de diversité dans les thèmes et la façon dont ils sont traités." Trop souvent, les sujets du couple ou des règles sont abordés. "Après Blanche Gardin, on a vu plein de mini-Blanche monter sur scène."
Les humoristes en herbe, Guillaume Fosko et Brian Ravenet, ont eux aussi des modèles, comme les célèbres Américains Sebastian Maniscalco ou Bill Burr. "Je passe ma journée à regarder des vidéos d’eux", confie l’ancien de la publicité. Alors que dans les années 2010, la télévision servait de relais aux humoristes, elle a aujourd’hui été remplacée par les réseaux sociaux. Là, les chercheurs de têtes peuvent découvrir des pépites. C'est sur Instagram que la directrice de casting Constance Demontoy a d’ailleurs cherché les acteurs de la série Netflix Drôle, de Fanny Herrero, diffusée en mars 2022 et non renouvelée malgré son succès.
Les réseaux, viviers d'humoristes ?
"Avec le covid et les différents confinements, les théâtres et lieux de stand up ont fermé. Alors on a suivi les artistes et les clubs sur Instagram, on a essayé de les pister, de regarder des extraits en ligne…", retrace-t-elle. Nicolas Vital a, lui, repéré sur les réseaux sociaux l’humoriste Jérémy Nadeau, célèbre sur YouTube avec 3,5 millions d’abonnés et l’a programmé au Festival d’Humour de Paris. “C’est un artiste qui a pris le temps de travailler la délicate transition du web à la scène. Cette étape peut aussi être difficile pour le public, car on passe du gratuit au payant."
Pour Nicolas Vital, proposer un véritable contenu artistique sur les réseaux sociaux est un moyen d’acquérir une communauté fidèle prête à se déplacer dans les salles. Le directeur artistique du Festival d'Humour de Paris est confiant pour la nouvelle génération qui maîtrise de mieux en mieux ces outils numériques. “Il faut que les artistes soient identifiables très rapidement, y compris par leurs réseaux sociaux”, pense-t-il. En effet, les productions - qui financent les humoristes - repèrent aussi leurs futures recrues sur Internet.
"Aujourd'hui, n'importe qui peut se lancer, il suffit d'avoir un téléphone et de la connexion", remarque Xavier Lebreton, mais sortir son épingle du jeu reste une gageure. Parfois c'est une intonation, un rythme, une respiration, un regard sur la société qui convaincra. "Il y a des moments extraordinaires, d'autres de grande solitude, souligne Nicolas Vital. C'est un métier de solitaire. On est face à des gens durant une heure pour les faire rire. Il faut avoir une sacrée confiance en soi pour oser franchir le pas. Ça fait très peur, mais à la fin du spectacle, les applaudissements, c'est pour soi, tout seul."
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