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Thomas Lebrun à Avignon avec son très romantique « Lied Ballet »

Dans « Lied Ballet », le chorégraphe Thomas Lebrun qui se fit connaître en 2009 par son « Itinéraire d’un danseur grassouillet », fait une entrée remarquée à Avignon, en associant de manière intense et originale musique romantique et danse. Sur scène, huit danseurs, un pianiste et un ténor, pour un jeu complice de prouesse et de poésie.
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)

Thomas Lebrun est un chorégraphe qui a gravi des montagnes. Né avec une furieuse envie de danser, mais sans l’apparence corporelle qui va avec. Trop épais, pas assez agile, lui assène-t-on sans cesse pendant sa jeunesse… De quoi vous détourner de votre rêve ou, au contraire, vous construire une carapace et une sacrée singularité. La persévérance et le talent ont fait le reste, le conduisant d’école de danse en compagnie. Danseur auprès de Bernard Glandier, puis Daniel Larrieu, Christine Jouve et Christine Bastin, Thomas Lebrun a fini par fonder, en chorégraphe, sa propre compagnie en 2000,  « Illico », aventure prolongée par sa nomination, en 2012, à la tête du Centre chorégraphique de Tours en 2012. A son actif, plus d’une vingtaine de pièces évoquant au choix son propre parcours (« Itinéraire d’un danseur grassouillet »), sa passion pour la danse (« La jeune fille et la mort »), la maladie du Sida (« Trois décennies d’amour cerné »), ou la question  du genre (« Tel quel », pour jeune public). Mais quel que soit le thème, sa marque de fabrique est là, perceptible, entre poésie et sourire, son regard porté sur la norme, le décalage, la périphérie.

La norme et la différence

Thomas Lebrun
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
Sa dernière création, « Lied Ballet », qu’il présente non sans fierté au Festival d’Avignon, dans sa prestigieuse sélection In, n’échappe pas à la règle. Sur la scène du Cloître des Carmes, les huit danseurs de Thomas Lebrun esquissent, dans un mouvement, le dialogue, sans y parvenir. Tissent, dans un autre mouvement, un cercle qui finit par exclure un élément du groupe. Composent, détruisent, recomposent l’ensemble, mais l’altérité est bannie, mise à l’écart. La notion de différence est très présente. « Vous avez raison, mais à une nuance près : je ne parle pas de l’homme et de son rapport à la société dans cette pièce, mais de la danse », nous corrige Thomas Lebrun. Croire que tout est si limpide et simple… « Lied Ballet » n’est pas le premier hommage que le chorégraphe rend à la danse. Mais cette fois, il l’interroge sur son évolution, dans sa relation au public. « Comment le public la regarde-t-elle ? Quelle liberté a-t-elle ? La danse peut-elle exister seule ou doit-elle vivre avec un décor, des vidéos et autres ajouts ? J’aimerais une danse à ressentir et pas forcément à penser » lâche Thomas Lebrun sans jamais se départir de son sourire. 

Les lieder deviennent des livrets de ballet

Il parle du public car lui, chorégraphe, ne peut s'empêcher de penser son art. "Je vais finir par devenir un intello", lance-t-il dans un rire, Dans sa dernière pièce, pour parler de danse il a choisi de faire un détour par un autre vecteur d'émotions, le "lied", ce poème musical phare du romantisme allemand du XIXe siècle. « C’est une forme musicale que je connais bien, découverte lors de ma formation en danse dans mon école de Lille, marquée par la tradition allemande. Ses thèmes, très liés à la nostalgie, me sont chers : l’amour, la mort, la solitude, la relation au passé… Ces lieder me font pleurer et j’aime ça ».  Dans Lied Ballet, le chorégraphe a choisi quelques lieder de Mahler, de Berg, et de Schönberg qu’il a fait interpréter non seulement en musique (grâce à l'implication très réussie, en direct, du pianiste Thomas Besnard et du ténor Benjamin Alunni), mais également en mots, scandés par les danseurs, et en mouvement, à chaque mot clé du poème correspondant un geste de danse. Le lied se trasforme en quelque sorte en livret de ballet.
  (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)
Cela donne des tableaux d’une effrayante beauté, statuaires figées ou comme en mouvement décomposé… Ainsi par exemple, lors du premier acte, marqué notamment par le rapport à la mort, les corps, les visages sont d’une étonnante expressivité : « pour obtenir certaines expressions des corps nous avons également travaillé sur des séries de photos post-mortem datant du début du siècle dernier qui mettent en scène les défunts », explique Thomas Lebrun…

Le ballet comme sujet
  (Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon)
« Au final, la part belle est donnée à la danse », rassure le chorégraphe. « Dans Lied-Ballet, celle-ci est racontée en trois actes, comme les trois étapes de la création du ballet : dans le premier, le pantomime plante le décor. Le second loue les prouesses des danseurs, en solo, pas de deux et pas de trois. Le plaisir de la danse est à son comble. Le troisième acte évoque un accord de ballet, l’unisson, le chorus ». C’est ici que la boucle est bouclée. "Ce chorus, cet être ensemble des danseurs, est-il lisse, ou rugueux, riche en aspérités, en différences ?", s'interroge Thomas Lebrun. « Lied Ballet » est servi par huit danseurs qui exécutent admirablement leur partition. Manque à l’appel Thomas Lebrun lui-même qui initialement devait également danser, mais qui a préféré ne pas s’exposer pour mieux orchestrer l’ensemble de l’extérieur et demander à sa troupe « de l’aisance physique, de l’ouverture intellectuelle et une grande honnêteté dans la danse ». En une heure et dix minutes, le pari est réussi.
 
"Lied Ballet" de Thomas Lebrun
Cloître des Carmes, Place des Carmes, 84000 Avignon
Les 11, 12 et 13 juillet à 22 heures

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