Suresnes Cités Danse : tâches ménagères, maternité ou devoir conjugal, Leïla Ka chorégraphie les carcans féminins dans "Maldonne"
Elles sont cinq femmes alignées sur scène dans des robes fluides. Progressivement, leurs corps s’activent, se mettent en mouvement dans la pénombre. Leurs mains caressent lentement leurs visages comme pour essuyer des larmes. Le silence est pesant. Connue comme l’une des jeunes figures de la danse contemporaine, la chorégraphe Leïla Ka revient à Suresnes Cités Danse, après le succès de sa précédente trilogie.
Marqués par la présence des femmes, ces spectacles explorent la liberté et le dépassement du corps féminin. Lauréate du Prix de la révélation chorégraphique du Syndicat de la critique en 2022, Leïla Ka présente Maldonne, sa première pièce de groupe imprégnée par le désir d’émancipation.
Abandonner les carcans
Dans Maldonne, Leïla Ka évoque les étapes et les moments de vie qui traversent la vie des femmes et changent irrémédiablement leurs corps. Des gestes qui se répètent sans réfléchir comme nettoyer le sol accroupies, pétrir de la pâte ou laver le linge. Des gestes répétés en synchronisation par les cinq danseuses avec une intensité marquante. Le controversé devoir conjugal, désignant l’exigence d’une vie sexuelle régulière au sein du mariage, est aussi abordé symboliquement par des mouvements violents au sol, mimant les relations charnelles.
Le génie de Leïla Ka réside surtout dans la musicalité qu’elle crée grâce à ces mouvements. Les danseuses s’unissent dans la même respiration. Un premier souffle se fait entendre comme un spasme. Il est rejoint par un autre. Puis toutes les danseuses se mettent à respirer à l’unisson, comme un métronome, créant leur propre musique. Ce souffle de vie résonne comme le fruit d’une sororité. Tous ces corps sont parfaitement accordés.
Les femmes de Leïla Ka sont à la fois libres et prisonnières. Libres d’envoyer valser le quotidien de mère, d’épouse ou de grand-mère, mais à la fois prisonnières des traces que laisse la vie sur leurs corps. Ces femmes luttent pour abandonner les carcans. "Comment on se débrouille avec toutes ces images qui sont véhiculées par la société ?", se questionne la chorégraphe. "J’essaye de ne pas reproduire certaines choses, mais en même temps, je tends vers des choses qui sont en contradiction avec mes valeurs personnelles."
Pour vaincre les contradictions, il reste la sororité. Le vécu commun et les mêmes énergies qui parcourent les corps féminins. Avec Maldonne, qui fait référence à la "mauvaise donne", Leïla Ka veut redistribuer les cartes. Dans ce décor nu, les femmes changent de robes, plus de 35 au total. Des robes d’occasion trouvées en friperie ou dans des Emmaüs, que les danseuses enlèvent pour frapper violemment le sol comme pour éteindre un feu fictif. Elles flottent autour d'elles et "renvoient à des images dans lesquelles on peut facilement imaginer les femmes qui les ont portées, donc leurs histoires", explique Leïla Ka.
Les scènes de disputes révèlent une gestuelle de la fureur, sans pour autant éclater pleinement. Jamais ces femmes n’en viennent aux mains, même si la tentation est grande. Les corps servent à contenir des émotions qui dépassent et qui tourmentent. La performance des danseuses sur un lip-sync (synchronisation des lèvres) de Je suis malade interprété par Lara Fabian, reflète le tourment infini de ces femmes qui oscillent entre bonheur et désespoir.
"Maldonne" de Leïla Ka présenté au festival Suresnes Cités Danse, le 19 janvier à Malakoff et du 22 au 24 janvier à Saint-Ouen. En tournée dans toute la France.
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