Laurent Hilaire remonte "Le Parc" de Preljocaj : "un classique"
Sur la musique de Mozart, Angelin Preljocaj ausculte avec humour et poésie les codes de la séduction : de la découverte de l’autre jusqu’à l’abandon de soi, en passant par l’éveil à la sensualité. Son ballet allie avec subtilité danse classique et contemporaine. Dirigés par Laurent Hilaire, Aurélie Dupont et Nicolas Le Riche l’interprètent aujourd’hui avec enthousiasme (ainsi que Laetitia Pujol, Isabelle Ciaravola et Alice Renavand). Et Angelin Preljocaj est venu le retravailler avec eux.
L'interview de Laurent Hilaire
- Culturebox : Travailler il y a 20 ans avec un chorégraphe contemporain, sur une création pour l’Opéra Garnier, une belle aventure pour le danseur étoile que vous étiez ?
- Laurent Hilaire : Je connaissais le travail de Preljocaj, en revanche je n’avais jamais travaillé avec lui. On avait bien évoqué le sujet, inspiré de la Princesse de Clèves, des Liaisons dangereuses. J’avais une certaine idée du personnage (de libertin) qui s’est illustré à travers le travail et l’élaboration des pas de deux. Chaque acte est ponctué par un pas de deux entre les deux protagonistes. Sur le premier, il y a de la distance, puis ils se rapprochent, jusqu’au dernier pas de deux qui est emblématique du Parc, avec le fameux baiser volant.
- Qui était votre partenaire ?
- Isabelle Guérin. Angelin a vraiment créé ce ballet sur Isabelle Guérin et moi. C’est sur notre rapport de couple de danseurs qu’il s’est appuyé. On avait un appétit très grand. Il y a eu une mise à disposition totale, nous avons fait tout un travail de recherche avec le chorégraphe. On avait aussi dans notre façon de bouger des propositions à lui faire. En tant qu’interprète on a une responsabilité dans la création.
En choisissant Mozart, en choisissant des costumes d’époque, dans des décors contemporains mais à la fois structurés, il est allé vers l’Opéra, comme on est allé vers lui. Cela a été une vraie rencontre. C’est un ballet qui n’a pas vieilli, 20 ans c’est peu mais ça peut être beaucoup pour un ballet. Le Parc, lui, est devenu un classique.
- Un classique ?
- A travers le fait qu’il traverse le temps. Par le thème, la chorégraphie, il parle autant que lorsqu’il a été créé.
- Comment s’est passée la création ?
- On se sentait désirés par le chorégraphe. On avait cette intimité avec Isabelle Guérin, il a pu cultiver l’idée de son ballet sur notre couple, il s’est appuyé sur notre relation. J’ai souvenir d’une osmose dans une totale simplicité, presque dans une libération totale de tout ce qu’on pouvait lui offrir. C’est un ballet très tactile, très charnel, très sensuel, il y a des mains qui passent sur le corps, on se touche beaucoup, c’est l’idéal de la séduction entre l’homme et la femme dont il s’agit. C’était merveilleux, une grande partie de nous même s’est libérée, quelque chose que l’on n’avait jamais exploré.
- Danser cet abandon n'est pas donné à tout le monde ?
- Il faut beaucoup de vérité, beaucoup d’humilité par rapport à ce que l’on est en train de faire. Une femme décide de s’abandonner, de rentrer dans la sphère sensuelle que son partenaire lui propose depuis le début à travers la carte du Tendre. Dans le premier pas de deux, il lui touche les mollets qui étaient une zone très érogène à l’époque, le poignet aussi; ces petits détails qui font l’évolution de la carte du Tendre. Par moment il la provoque, et par moment elle lui impose le respect.
- Comment avez-vous remonté ce ballet ?
- J’essaye de reproduire l’évolution proposée par la chorégraphie, et de permettre aux interprètes de créer quelque chose entre eux. Comme dans tous les grands ballets à thèmes, il faut un lien entre les couples pour que les choses existent. Et encore plus dans ce genre de ballet et son évolution vers l’amour.
Et puis Angelin a assisté aux répétitions. Il a modifié des petits détails. Je ne me donne pas le droit de changer quoi que ce soit. C’est toujours bien d’avoir le chorégraphe qui réinvente son ballet, qui nourrit la compagnie.
- Comment se fait le choix des interprètes ?
- Le choix se fait sur la perception des correspondances possibles. Il y a toujours un rapport de séduction, une entente… Je n’étais pas amoureux d’Isabelle Guérin, mais il y avait une complicité, il y a toujours une clé…
- Et puis il y a le style Preljocaj ?
- Il y a une technique à intégrer, un rapport au sol qui est différent, un poids au sol plus important que dans la danse classique. Mais on est habitué à travailler avec des chorégraphes très différents, on a cette malléabilité. Angelin a sa culture, son style propre, c’est la définition d’un grand chorégraphe. Pina Bausch, Mats Ek, kylian, sont des gens qui ont aussi leur propre langage.
- Le fait de l’avoir dansé aide à diriger ?
- Bien sûr que cela aide à la transmission. Il y a des choses que j’ai ressentis avec le corps et que je peux transmettre Entre voir et faire c’est deux choses différentes. Il y a une mémoire du mouvement, des muscles. Trouver les mots c’est intéressant aussi et puis il y a une forme d’instinct dans sa relation avec les artistes. Il faut voir les portes qui s’ouvrent.
C’est passionnant de travailler avec les différents couples, d’âges différents et savoir jusqu’au les pousser. Il y a beaucoup de différences entre les couples, notamment de sensualité. Quand on travaille dans le même sens pour faire vivre l’œuvre c’est très gratifiant. Le rôle de maitre de ballet est important dans la transmission, il est le référent de la bonne direction.
- Le célèbre baiser a été repris dans une publicité ?
- Les œuvres appartiennent au chorégraphe. Angelin l'a monté ailleurs. Les chef-d’œuvres doivent voyager. Le flying kiss pour Air France, on peut dire que ça avait un certain sens (rires). Est-ce que ça enlève quelque chose à l’œuvre, je ne pense pas. "Le Parc" d'Angelin Preljocaj à l'Opéra Garnier
Jusqu'au 30 décembre 2013
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