La belle histoire d'Héloïse Bourdon plongée dans "Le lac des cygnes"
Et à juste raison, car elle a été acclamée pendant cinq soirées, par le public de l'Opéra Bastille.
Hiérarchie oblige, quand Héloïse ne danse pas le rôle de soliste, elle ne se repose pas comme le font les étoiles. Elle est dans le corps de ballet chaque soir. Et c'est ainsi que lorsque la danseuse étoile (Ludmila Pagliero) s'est blessée à la fin du 3e acte, qu'elle a pris sa place et investi le rôle, avec un partenaire (l'étoile Mathias Heymann) avec qui elle n'avait jamais répété ! Ce sont évidemment de sacrées expériences, qui lui ont donné confiance en elle et renforcé l'amour qu'elle porte à son art.
Brune ravissante, douce, posée et si mûre, Héloïse nous a charmés. Entretien.
Comment se retrouve-t-on à danser un des rôles les plus prestigieux du répertoire, avec le grade de sujet ?
On apprend ça sur une fiche de distribution affichée sur un tableau de service. A la base j'étais remplaçante. Comme une fille n'a pas pu danser pour plusieurs raisons, j'ai eu rapidement la chance d'avoir des répétitions, avec le partenaire avec qui j'allais danser, Josua (l'étoile Josua Hoffalt). En scène, j'ai eu également deux répétitions avec le corps de ballet. Ce qui est assez exceptionnel, car en tant que sujet, nous ne sommes que la quatrième distribution, nous n'avons pas forcément accès à ce luxe.
C'était très agréable, très confortable de danser avec une étoile. On a un peu la pression car c'est très prestigieux, mais il a l'expérience des rôles de solistes toute l'année. Il sait qu'il y aura des moments dans la répétition où ce sera difficile, il va avoir les bons mots pour te rassurer, pour t'aiguiller, ça c'est génial aussi.
Et puis on a été coachés par Florence Clerc qui est une femme très douce et qui en même temps voit tout. Et elle laisse une certaine liberté à l'artiste de s'exprimer, elle est à l'écoute de ce qu'il a envie de proposer.
On se pince pour y croire ?
Moi c'est un rêve de petite fille. C'est le premier ballet que j'ai vu quand j'étais enfant, c'est ce ballet là qui m'a donné envie de faire de la danse. Je l'ai vu avec Agnès Letestu. Et par hasard, c'était le soir de sa nomination (au titre d'étoile). A l'époque c'était rideau fermé, mais on entendait les applaudissements. Je ne pensais pas que je danserai ce ballet aussi vite dans mon parcours. C'est une grande preuve de confiance de la direction, j'en suis consciente.
Pour sa première on est dans ses petits chaussons ?
J'ai été très bien préparée et c'est un rôle que je ressens intimement. Le rôle d'Odette, cette femme fragilisée par son destin, tout ce travail des mains, des poignées, ce raffinement, cette lenteur, cette délicatesse, ce romantisme avec le partenaire, tout ça fait partie de moi. Quand j'entends cette musique là (Tchaïkovski), ça me parle.
Pour le rôle d'Odette il y a tout ce côté suspendu, en équilibre mais c'est moins spectaculaire que pour celui d'Odile, qui comprend des difficultés chorégraphiques qu'il faut dominer. Les fouettés, les tours attitudes… il y a plus de panache, d'abattage.
Florence me l'a fait travailler avec une extrême sensualité, beaucoup dans les regards, très autoritaire, un peu insolente, avec un côté dominatrice mais en douceur, car elle doit rester charmante. C'était un peu plus compliqué pour moi car elle a un côté pervers, et je ne suis pas vraiment comme ça dans la vie. Et en fait j'ai trouvé un certain amusement à faire ça, je me suis vraiment déguisée dans un autre personnage et en fait j'y ai trouvé un plaisir fou, même plus que pour celui d'Odette.
Avec cette expérience avez-vous l'impression d'avoir franchi une étape ?
Oui parce que j'avais déjà l'expérience d'avoir des rôles entiers, des rôles principaux ("Aurore", "La belle au bois dormant", "Etudes" en début d'année). Mais là ce qui est génial c'est que j'ai eu plusieurs dates, six. J'ai trouvé des repères sur scène pendant le spectacle, quelque chose de rassurant, d'où une certaine liberté d'expression au fur et à mesure. On a beau le travailler en studio, ce n'est pas pareil. J'ai franchi une étape vis-à-vis de moi-même, en gérant mieux mes émotions, ma fatigue, car c'est violent !
Lors de ma première, après le deuxième acte je n'avais carrément plus de jambes. J'ai demandé à Josua comment j'allais faire, j'étais cassée, j'avais un coup de barre énorme. Il m'a dit c'est normal, on a donné énormément au 2e acte, on est un peu à sec, mais ça va repartir, tu vas voir. Il m'a dit de marcher, de faire un petit footing pour relancer la circulation du sang. Déjà à la 2e représentation j'étais un peu moins fatiguée et à la 3e j'en ai beaucoup plus profité.
Peu de compagnies mettent dans la lumière de jeunes danseuses dans de tels rôles ?
C'est une grande chance, un concours de circonstance et un signe de grande confiance. J'ai essayé de saisir cette chance au maximum pour moi et pour le public. Car même si je ne suis que sujet, il ne doit pas le savoir, il doit être comblé. Je connais leurs attentes, ils viennent voir un spectacle de haut niveau, j'ai donné le maximum, j'ai travaillé pour, et sur scène j'ai essayé d'en profiter et de me faire plaisir. Comme toute artiste je veux me nourrir de mon métier.
Vous en avez vraiment profité ?
Le ballet de Noureev est très bien fait. La construction est toute en progression, le stress disparait assez naturellement. Tu as un repic de stress quand tu reviens en cygne noir, là dans la coulisse je ne dis pas que je fais la fière j'avoue (rire), mais là c'est la même chose, quand tu entres en scène il y a cette complicité avec les partenaires et du coup le stress s'enlève. Et puis il y a le regard du corps de ballet, j'ai cette chance en tant que sujet d'en faire partie quand je ne joue pas la soliste, alors du coup j'ai tous ces repères et les filles m'encouragent. Cette connivence m'aide à destresser.
Vous dansez donc tous les soirs ?
Oui parce que je suis sujet, c'est le statut qui veut ça. A la base, je ne devais faire que trois dates en tant que soliste, et finalement trois autres se sont ajoutées. Les maîtres de ballet sont assez attentifs à notre état. Si je dis que je suis rincée et que j'ai mal ils ne vont pas me mettre sur scène. Mais en même temps c'est une chance d'y être, tu te sens moins perdu qu'une étoile qui n'aurait pas dansé depuis deux mois, il n'y a pas cette nouveauté stressante.
Vos rêves aujourd'hui ?
J'aimerais avoir la chance de danser d'autres jolis rôles, "Roméo et Juliette", "Giselle" et plus tard "La Dame aux Camélias". Un maximum de belle chose. Là, il va y avoir "Les enfants du paradis", je suis remplaçante sur le rôle principal de Garance. Je suis contente de l'aborder et très contente de travailler avec José Martinez prochainement, une personnalité que j'adore, généreux dans le travail, très intelligent. J'aimerais aussi aborder du contemporain, Forsythe, Pina Bausch. J'ai dansé Edouard Lock récemment, j'ai adoré, kiffé !
Comment vous voyez-vous gravir les échelons dans la hiérachie de l'Opéra ?
Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en jeu pour le concours de première danseuse en décembre prochain, qui comprend deux variations, une imposée et une libre. Il faut se sentir prête, je le suis et puis il y a la volonté de la direction qui est plus forte que tout. S'ils me donnent des rôles de solistes, cela veut dire qu'ils ont confiance, ils me testent. Benjamin Millepied nous teste toutes. Il se fait un avis. Bien sûr, j'ai envie d'être première danseuse un jour, et étoile si c'est mon karma (sourire). Après j'ai surtout envie d'être épanouie et de danser de belles choses, même si je n'ai pas le titre.
Vous ressentez la volonté chez Millepied de permettre aux jeunes d'avancer plus vite?
Il nous dit qu'ils nous choisit quand il nous sent prêt. J'ai l'impression qu'il ne veut pas attendre qu'on ait 30 ans pour nous faire danser des choses. Il y a un élan de jeunesse clairement. Il a envie qu'on aborde des choses difficiles tôt pour ne pas paniquer par la suite. Brigitte Lefèvre m'a donné mon premier grand rôle à 18 ans, ça enlève une certaine pression.
Vous allez danser le lac encore une fois en tant que soliste ?
Normalement je danse encore une fois jeudi soir, mais sur les autres dates je reste en coulisse au cas où il y aurait un problème. J'ai remplacé l'étoile Ludmila (Pagliero) quand elle s'est fait mal avec Mathias Heymann. Cela s'est passé au 3e acte et j'ai dû la remplacer pour le 4e acte.
Il faut être sacrément réactif ?
Tout le monde est réactif ! C'est un travail d'équipe, la coiffeuse, la maquilleuse, la costumière qui est allée chercher mon costume en catastrophe et puis se mettre d'accord en 2 secondes avec Mathias (Heymann) et tout ça en étant délicat vis-à-vis de Ludmila qui a mal et qui mérite le respect.
Là, j'ai été un peu stressée, parce que je ne m'y attendais pas du tout et parce que je n'avais jamais dansé avec Mathias. J'étais un peu paniquée. Je me suis dit : Héloïse tu serres les fesses, fais lui confiance, il est étoile, il a l'expérience. Et puis on s'est détendu, ça s'est très bien passé, c'était une très bonne expérience.
Héloïse Bourdon dansera Odette/Odile dans "Le lac des cygnes", jeudi 2 avril 2015 à l'Opéra Bastille
"Le lac des cygnes" : le 1er ,2,6,8,9 avril
Réservation : 08 92 89 90 90
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