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"J’aime ce qui est chaotique, foisonnant" : la ruée du chorégraphe Boris Charmatz sur le Festival d’automne

Danse, théâtre, opéra, musique, arts plastiques… le Festival d’automne est de retour en Ile-de-France. Plus de 70 spectacles dont un coup de projecteur sur l’intrépide danseur et chorégraphe Boris Charmatz : un "portrait" en huit ballets (dont "La Ruée") et deux événements. Entretien.

Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Boris Charmatz au Festival d'automne 2020 (Sébastien Dolidon)

Boris Charmatz n’a jamais voulu choisir, catégoriser : adepte d’une danse contemporaine brute et provocante, le chorégraphe a toujours croisé les disciplines aussi bien lorsqu’il dirigeait le Centre chorégraphique national de Rennes, rebaptisé par lui Musée de la danse, qu’aujourd’hui en tant qu’indépendant, à la tête de sa compagnie Terrain, installée dans les Hauts-de-France.  

franceinfo Culture : Comment avez-vous construit ce portrait que vous consacre le Festival d’automne ?

Boris Charmatz : On l’a construit au fur et à mesure des années, car le Festival d’automne m’a soutenu quand j’étais un bambin de même pas vingt ans ! Les spectacles que j’ai faits, je les ai faits souvent grâce au festival ou en y rencontrant tel compositeur ou tel chorégraphe. Ce portrait en est un peu l’aboutissement.

Avant cette invitation, je devais reprendre le spectacle La Ruée à la MC93 de Bobigny (NDLR : spectacle où Charmatz s’inspire du livre initié par Patrick Boucheron, L’Histoire mondiale de la France). Du coup lorsque Marie Colin du Festival d’automne m’a proposé ce portrait, j’ai pensé tout de suite à faire le spectacle d’ouverture avec La Ruée. Et comme il y a eu aussi l’invitation pendante du Grand Palais, je me suis dit on va commencer à Bobigny et on terminera au Grand Palais les 15 et 16 janvier.

Avec une création ?

Une création qui a été complétement bousculée par le Covid. Au départ j’avais l’intention de faire une tempête avec 400 danseurs qui se roulaient les uns sur les autres, qui transpiraient dans un chaos de corps ; évidemment c’est impossible à réaliser, du coup j’ai proposé un événement en deux volets. Le premier s’appellera La Ronde, une longue nuit de duos enchaînés les uns aux autres du vendredi soir au samedi matin, avec une vingtaine d’artistes invités : ça ira de Dirty dancing à Forsythe, avec des choses improvisées et des duos créés pour l’occasion. Le lendemain on va faire ce que l’on a appelé Happening Tempête qui durera cinq heures : un dance floor avec des danseurs professionnels, des danseurs du conservatoire de Paris et moi-même, ce sera une performance publique avec un échauffement public ; un happening où tout le monde pourra danser sous la nef du Grand Palais.

La Ruée de Boris Charmatz  (Damien Meyer)

Voilà pour le début et la fin du festival, au milieu ce sera tissé de désirs : au Châtelet on présente 20 danseurs pour le XXe siècle et plus encore, une version différente de celle de l’Opéra Garnier qui sera cette fois une exposition vivante où des danseurs extraordinaires feront des solos du XXe et du XXIe siècle. C’est un spectacle qui a déjà voyagé à Londres et à New York, une grande collection de gestes qui vont de Charlie Chaplin à Forsythe, en passant par la danse Buto ou un solo qui vient d’être créé par Gisèle Vienne ; et puis à Chaillot on reprendra 10000 gestes, une pièce que j’adore.  

Comment définiriez-vous le chorégraphe et danseur Boris Charmatz ?

Il y a beaucoup de choses que j’aime qui sont mis à mal par la situation sanitaire aujourd’hui : j’aime le chaos, j’aime le contact des corps les uns avec les autres, j’aime chorégraphier des assemblées avec beaucoup de gens, j’aime le brouillon. Je ne suis pas le spécialiste de l’écriture claire, de la ligne. J’aime ce qui est foisonnant, ce qui va dans tous les sens. Beaucoup de choses quasi impossibles à faire avec la pandémie. Il faut donc que je me réinvente avec cette situation-là. 

J’avais envie qu’à chaque projet on invente un autre langage

Boris Charmatz

Mon travail de chorégraphe a débuté dans les années 90, à l’époque chaque chorégraphe avait sa signature. Moi j’avais envie qu’à chaque projet on invente un autre langage, une nouvelle manière de faire, un autre dispositif. C’est aussi dû au fait que je suis danseur avec d’autres chorégraphes, je danse pour Anne Teresa De Keersmaeker, je danse pour Tino Sehgal, j’ai dansé pour Odile Duboc. J’aimais donc bien l’idée d’être perméable, pas identifié. Mais ne pas avoir de signature ça devient une signature finalement.

Comment se sont passées ces trois années depuis que vous avez quitté la direction du Centre chorégraphique national de Rennes, quel est l’avantage de votre nouveau statut, "un pied dedans, un pied dehors" ?

J’ai l’immense chance d’être indépendant, libre, mais en étant soutenu par la région des Hauts-de-France et notamment trois lieux : l’Opéra de Lille, le Phénix de Valenciennes et la Maison de la culture d’Amiens. Je n’ai donc pas à m’occuper d’un Centre chorégraphique national, c’est pour cela que j’ai du temps pour m’occuper du Festival d’automne par exemple, et en même temps j’ai une forme de stabilité géniale. Une chance assez unique, liée au fait que la région des Hauts-de-France, qui m’a invité, développe la culture de la danse depuis l’arrivée de Xavier Bertrand, et qu’il y a un réseau de festivals et d’institutions qui m’aident à vivre la transition.  

Votre association Terrain est-elle composée d’une troupe de danseurs permanents ?

Non, car moi-même j’aime autant chorégraphier qu’être danseur pour d’autres chorégraphes, ou être une sorte de commissaire d’exposition en introduisant la danse dans les musées. On parle beaucoup des intermittents du spectacle, moi je suis un enfant de l’intermittence, ça n’empêche pas qu’avec certains danseurs on travaille depuis cinq, dix, parfois vingt ans, des relations au long cours. Mais ils sont quand même indépendants, libres. Cette fidélité c’est sans doute parce que je viens de l’Opéra de Paris, de l’école de danse qui cultive une idée de troupe fixe, même si j’ai envie d’être plus buissonnier finalement. Le meilleur exemple de compagnonnage c’est avec Dimitiri Chamblas. On a commencé ensemble dans un duo il y a 27 ans (ils ont 47 et 46 ans), on continue de le danser (A bras-le-corps), même chose avec Emmanuelle Huynh puisqu’on dansera ensemble à l’Orangerie le duo du Boléro.  

Boris Charmatz et Emmanuelle Huynh dansent boléro 2 / étrangler le temps d'Odile Duboc (Ursula Kaufmann)

Quel est l’état de la danse aujourd’hui ? 

J’avais plein de belles réponses il y a six mois, mais là on est quand même un des secteurs qui souffrent le plus, on a une incertitude, car on aime mettre les corps les uns avec les autres, rassembler les gens, transmettre des mouvements dans la grande proximité... C’est tout ce que le virus attaque, on est en première ligne, un milieu très fragile économiquement. 

Moi, en six mois, j’ai dansé deux fois

Boris Charmatz

Je ne suis pas le plus à plaindre, mais on est dans une situation de crise, tout est bloqué, je pense notamment aux jeunes artistes. C’est difficile d’imaginer rester danseur professionnel aujourd’hui où l’on fait si peu de spectacles. Moi, en six mois, j’ai dansé deux fois.  

Vous verriez-vous à la tête d’une institution comme le ballet de l’Opéra de Paris ?

J’en serais bien incapable, j’admire le ballet de l’Opéra de Paris, qui a des soucis énormes en ce moment. Aurélie Dupont est quelqu’un que j’aimais beaucoup quand j’étais à l’école de danse. Je serais incapable de diriger cette formation car ma culture n’est pas le ballet classique mais la politique, le militantisme, c’est un peu ça l’héritage de mes parents, la culture du XXe siècle. Je me pose bien sûr des questions sur ce que je veux faire et le confinement n’a fait que renforcer cette envie d’avoir une institution qui serait un espace vert. Au Centre national de la danse on engage tout un travail avec des experts, tels le commissaire d’exposition de la Tate Modern de Londres, Emanuele Coccia qui est philosophe, et d’autres artistes, danseurs et chorégraphes. On réfléchit à ce que pourrait être un espace vert urbain chorégraphique.

Ce serait un lieu identifié ?

Un lieu, comme un Centre chorégraphique national ou un théâtre, qui serait une friche verte, un jardin, dans lequel on serait confronté au climat, à la pluie, au froid, au soleil, à ne pas être protégé et du coup ouvert à la fragilité, aux mouvements de la vie. On doit repenser son rapport à l’environnement, à l’empreinte carbone, mais aussi réinventer une institution non pas hors les murs mais sans murs. C’est un projet qui me tient vraiment, vraiment, à cœur.

On va faire un premier test à Zurich et il y aura un film présenté au Centre national de la scène, un premier test de ce Terrain, qui est aussi le nom de mon association. Et dans le futur j’espère pouvoir passer quelques mois à Lille pour développer ce projet et pourquoi pas à Paris un peu plus tard.

La ville c’est aussi le lieu d’un art libre, fou

Boris Charmatz

Même si aujourd’hui on parle beaucoup jardins collectifs, ruches, pistes cyclables, forêt urbaine, et c’est vraiment formidable, je trouve que la ville c’est aussi le lieu d’un art libre, fou. Il ne faut pas se contenter d’un art associatif, gentil, il faut qu’il y ait un vrai soutien à une danse folle, quelque chose à la hauteur des cités qu’on a envie d’inventer pour le futur. Je me bats pour ça et c’est quand même une bonne période au sens où il y a un tournant écologique, climatique et urbain à prendre. Ce tournant doit être pris aussi avec la danse, avec l’art, dans une vraie liberté de pensée et d’action.        

Boris charmatz au Festival d'automne:
SEPTEMBRE 2020

18, 19 septembre : La Ruée / MC93, Bobigny
21, 22 septembre : (Sans Titre) 2000 / Lafayette Anticipations, Paris
26, 27 septembre : La Fabrique / CND, Pantin

OCTOBRE 2020

14, 15, 16 octobre : Aatt enen tionon / Nanterre Amandiers et Maison de la musique, Nanterre
23, 24, 25 octobre : 20 danseurs pour le XXe siècle et plus encore / Théâtre du Châtelet, Paris

NOVEMBRE 2020
25, 26, 27 novembre : 10000 gestes / Théâtre national de Chaillot, Paris
26, 27, 28 novembre : À bras-le-corps / CN D, Pantin

DÉCEMBRE 2020
7 décembre : boléro 2 + étrangler le temps / Musée de l’Orangerie, Paris

JANVIER 2021

15, 16 janvier : créations de La Ronde et Happening Tempête
Événement de clôture avant travaux / Grand Palais, Paris

Tout le programme du Festival d'automne

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