Festival "Sens dessus dessous" : Peeping Tom fait valser la vieillesse dans "Vader"
La 4e édition du festival “Sens dessus dessous” proposée par la Maison de la Danse de Lyon invite de jeunes artistes émergents mais aussi de surprenantes ou singulières créations. A l’image du collectif bruxellois Peeping Tom qui présente jusqu'au 17 mars "Vader" (Père), le premier volet d’une trilogie familiale.
Une claque sociétale
Franck Chartier et Gabriela Carrizo, signent tous deux la mise en scène et la direction artistique de cette claque chorégraphique qui tangue entre l’hyperréalisme et le surréalisme. Sur le plateau, des hommes et des femmes de 20 à 80 ans, danseurs d’exception ou amateurs éclairés, livrent un tableau à la fois désarmant et comique d’un vieux père abandonné par son fils dans un dispensaire un peu dingue.La pièce questionne de plein fouet, la vieillesse, l’abandon, mais va encore plus loin en interrogeant la figure du père.
De la tendresse à la réalité crûe, le premier volet de la trilogie de Peeping Tom ne nous épargne en rien. La maison est le lieu où les corps se délitent et où les esprits s’échappent. On y danse, on y chante, on y rêve et parfois même on y meurt.
Dans la danse il y a toujours des beaux danseurs, avec des beaux muscles : pour nous c’était important justement de montrer les choses qu’on s’évertue à cacher habituellement. On voulait travailler autour de l’intime, des complexes, des tabous, des peurs.
Franck Chartier - Collectif Peeping TomLa fin de vie sur le devant de la scène
Transformée en réfectoire de maison de retraite, la scène est un immense terrain de jeu où les pensionnaires vont et viennent, s'inventent de nouveaux rôles, tentent de vivre et de s’enfuir au sens propre comme au figuré. Mais les portes battantes se ferment violemment, les murs immenses sont inaccessibles pour des corps sans force, la vie grince et le temps n'en finit pas.
Le fond du plateau devient alors le lieu de tous les délires. La petite estrade où d’étonnants musiciens du troisième âge et de jeunes chanteurs se côtoient laisse place à un show parfois ringard, souvent drôle.
On a travaillé aussi sur l’écoulement du temps, ce qui est fascinant par rapport au mouvement. Nous, actifs, sommes dans une vie où le temps est en perpétuelle accélération. Dans une maison de retraite les choses sont différentes.
Franck ChartierLéo la star de la maison
Au centre de cette petite communauté, tantôt adulé, tantôt détesté, Léo de Beul. Incroyable septuagénaire au corps encore vif et à l’esprit vagabond il nous embarque dans ses souvenirs diffus et irrationnels. On en sait peu sur le passé de ce facétieux papy en fauteuil roulant, on devine qu’il n’a pas forcément été très aimant envers son fils. L’âge excuse-t-il tout ? semble demander les fantômes de "Vader". Pour y répondre, les résidents prennent diverses apparences ; à la fois fourbe et doux, dingues et réconfortants.
Si la maltraitance, l'enfermement et la perte d'autonomie pointent ça et là, la tendresse et le rire l'emportent, tant et si bien que le sort de Leo paraitrait presque enviable.
Humour et poésie à la manière du 7e art
Est-ce du théâtre, est-ce de la danse, est-ce du music-hall ? Le petit monde de "Vader" a la capacité de passer d’un karaoké coréen franchement kitsch aux décors figés d’un film des années 50. Une constellation d’univers qui se mêlent et de personnages qui s’ignorent. Un peu comme notre cerveau fatigué serait capable de le faire.
Mais la beauté, la grâce et l’humour accompagnent la petite musique de fond de cet indicible bal des vieillards. L’interprétation au piano de Léo qui s’égosille sur "Feelings", sous le regard amoureux de toutes les pensionnaires, la danse du ballet géant, la chanteuse qui prend 80 ans le temps d'une mélodie brésilienne, ou l’attaque virtuelle de moustiques en colère sont de purs moments de folie douce où le temps suspens son vol.
Servi par huit interprètes de la compagnie, dont l’étonnant Leo De Beul agé de 77 ans, et une dizaine de comédiens amateurs, le scénario de "Vader" nous fait passer du rêve éveillé au film onirique.
On utilise aussi beaucoup des « non-danseurs ». Leo, par exemple,Vader [le père], il a 77 ans. Simon, lui, a 65 ans. C’est important de faire danser des gens qui ne sont pas danseurs, qui ont une fragilité, qui vont être plus touchants, plus reconnaissables. Ensuite on contraste ça avec des danseurs qui ont une virtuosité, une technicité incroyable, ça permet de tout relativiser, dans tous les sens.
Franck Chartier
Chaque tableau est une scène, une histoire, comme dans un tableau d’Edward Hopper porté par l’agilité des danseurs dans un rythme millimétré au cordeau. On déplore parfois le manque de danse tant ces moments sont exécutés avec virtuosité et élégance.
Peeping Tom nous a promis une suite à ce premier volet. On attend donc avec curiosité "Moeder" (mère) et "Kinderen" (enfants).
"Vader" du collectif Peeping Tom est joué à Lyon jusqu’au 17 mars 2016 puis à La Rampe à Echirolles les 22 et 23 mars
Mise en scène: Franck Chartier - Aide à la mise en scène et dramaturgie: Gabriela Carrizo
Création & interprétation: Leo De Beul / Jef Stevens, Marie Gyselbrecht / Tamara Gvozdenovic, Hun-Mok Jung, Maria Carolina Vieira, Simon Versnel, Brandon Lagaert & Yi-Chun Liu, avec l'aide d'Eurudike De Beul
Le festival Sens dessus dessous présente jusqu’au 19 mars à la Maison de la Danse de Lyon :
• la jeune génération de chorégraphes avec la dérision le Collectif ÈS
• la recherche formelle de Noé Soulier.
• Le groupe Entorse qui propose un dialogue intimiste du le mouvement convulsif et les textures sonores du
• Un programme exclusivement féminin regroupera trois solos interprétés par trois danseuses aux parcours différents : contemporain pour Meytal Blanaru, classique pour Mélanie Lomoff et hip hop pour Jan Gallois.
• Un cabaret technologique avec la petite forme de science fiction magique proposée par Thierry Collet.
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