Festival Paris l'été : "Näss", un cocktail vitaminé de hip hop et de danse traditionnelle marocaine au lycée Jacques-Decour
Pour le “Festival Paris l’été”, le très beau lycée Jacques-Decour accueille jusqu’au 31 juillet des spectacles, des expositions et une guinguette. Cette semaine, les danseurs de Fouad Boussouf électrisent la scène dans une création mêlant hip hop et musique traditionnelle marocaine.
Une algue humaine se balance sur la scène installée dans l’une des cours du lycée parisien Jacques-Decour. Collés les uns aux autres, sept hommes ondulent au son de musique électro et de chants traditionnels marocains. Les danseurs de Näss, du chorégraphe Fouad Boussouf, profitent de ce doux et fugitif moment de répit avant d’enchaîner 55 minutes de performance endiablée. A découvrir au Festival Paris l’été jusqu’au samedi 23 juillet 2022, tous les soirs à 22h.
Scène à ciel ouvert
Depuis sa création au XVe siècle, le lycée Jacques-Decour s’est souvent transformé en plateau de cinéma : il a servi de décor au film Les Quatre cents coups (1959) de François Truffaut où il fut élève, ainsi que pour les scènes intérieures du Petit Nicolas (2009) de Laurent Tirard. Depuis le départ en vacances des lycéens, l’établissement s’est cette fois métamorphosé en salle de spectacle à ciel ouvert. Ce mercredi soir, une scène et des gradins en plastique blanc ont été installés sous un arbre. Au fond, un semblant de désert est projeté sur grand écran. Sans doute une évocation du Maroc, pays d’origine du chorégraphe, Fouad Boussouf.
Sept hommes entrent sur scène dans une démarche alanguie. Dos au public, ils revêtent lentement plusieurs couches de vêtements. Le spectateur imagine alors assister à une pièce contemplative, avare en mouvements, ce sera tout l’inverse. Les danseurs se détachent les uns des autres, sautillent. Soudain, les dos se courbent, les têtes se balancent frénétiquement et les plantes de pieds claquent le sol. Des mouvements issus à la fois du hip-hop et des danses pratiquées dans le Haut et Moyen-Atlas.
Métissage chorégraphique
Faire dialoguer le hip-hop avec les danses traditionnelles d’Afrique du Nord et le cirque contemporain, c'est la signature du chorégraphe. Fouad Boussouf, né entre Fes et Meknès, découvre lors de son adolescence en France le milieu du hip-hop des années 90. Il lui consacre quelques années plus tard un mémoire intitulé : La danse hip hop, repli identitaire ou facteur d’intégration sociale ? Le cas des Maghrébins. Depuis ses spectacles sont créées en partie au Maroc où il aime partager avec ses artistes l’énergie du pays.
Et manifestement ils ont rapporté ce tonus sur scène. Sur les pulsations incessantes, parfois assourdissantes de la musique, les cœurs tambourinent et les corps exultent. Quand le silence soudain s'installe le souffle haletant de la troupe suffit à donner le tempo. Les poitrines se gonflent et se dégonflent à l’unisson. Les danseurs alternent trios, duos et solos où chacun peut exprimer son propre style. Ils se toisent, se repoussent puis se rejoignent. Un kaléidoscope de performances s'offre au public.
Le titre du spectacle, Näss, fait référence au groupe Nass el Ghiwane (les gens bohèmes en français) qui a popularisé la culture gnawa dans les années 1970. Leurs textes anticonformistes est à l'origine du rap marocain. Plusieurs membres du groupe ont d'ailleurs été emprisonnés pour leurs écrits. Un engagement que l'on retrouve dans les spectacles de Fouad Boussouf dans lesquels il évoque, comme dans Näss, les bouleversements qui secouent le monde arabe depuis des décennies.
Des expositions et une guinguette
Après le spectacle, dans une autre cour du lycée Jacques-Decour, une guinguette fait le plein : transats, guirlandes multicolores, tables collectives et musique électro lui donnent un air de vacances. "La guinguette est ouverte tout le long du festival", précise un organisateur. L'occasion de faire une petite pause avant de se lancer dans les visites de deux expositions présentées au lycée jusqu’à la fin du Festival Paris l’été.
Radio daisy, de Cécile Léna, célèbre les 100 ans de Radio Tour Eiffel, première station de France. Présentée en début d’année à la Maison de la radio et de la musique à Paris, elle prend cette fois place dans l’une des salles à haut plafond du lycée. Sept cabines recouvertes de miroirs y sont installées. On y pénètre en franchissant un rideau de velours vert. À l’intérieur, un tabouret est posé face à des scènes miniatures aux détails savoureux : une cuisine, une cabine téléphonique, un bar d’hôtel, et même un drive-in…
Il suffit alors d’enfiler un casque d’où les plus belles voix de la radio s’échappent - dont celle de l'oiseau de nuit Macha Béranger. Aussitôt l'imagination se met en marche, et les souvenirs ressurgissent. Des sons d'époque, et en fil rouge l'histoire d'amour entre un boxeur et une trapéziste. Cécile Léna, la créatrice, rappelle ici, tout en poésie, la place qu’occupe la radio dans nos vies : une compagnie, des voix familères qui s'immiscent dans nos maisons, nos voitures, notre intimité.
Une forêt dans une salle de classe
Le plasticien, Johnny Lebigot, s’est lui aussi approprié une salle de classe du lycée pour y installer À l'abri des forêts. Là une odeur de fleur séchée attrape les narines. Des branchages recouvrent les radiateurs et les mousses envahissent les bureaux des écoliers. L’artiste glane les matériaux de son univers enchanteur dans les forêts et en bord de mer. Des tupperwares remplis de coquillages s'amoncellent sur une étagère. Le créateur échange avec les visiteurs, les incitant à manipuler les oeuvres.
Il est minuit passé lorsque nous ressortons du lycée. Entre performances, expositions et danses, la soirée a été riche. Le Festival Paris l'été au lycée Jacques-Decour se poursuit avec trois autres spectacles et des stages de danse proposés jusqu'à fin juillet. Au programme, le chorégraphe Josef Nadj dans Omma, le projet Làoùtesyeuxseposent à la frontière entre spectacle vivant et installation d’art contemporain de Johanny Bert, et un concert de Loïc Lantoine et The very big experimental toubifri orchestra.
Festival Paris l'été, jusqu'au 31 juillet dans différents lieux
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