Chaillot : des danseurs de plus de 60 ans bousculent notre rapport au corps dans "Overdance"
Qu’est-ce que l’âge des corps ? C’est ce qu’interrogent Rachid Ouramdane et Angelin Preljocaj dans le spectacle Overdance au Théâtre national de la danse de Chaillot. Les corps musclés et toniques associés à la jeunesse, finissent irrémédiablement par se courber et s’affaiblir. Sont-ils pour autant moins beaux et expressifs ? On découvre au contraire des danseurs charismatiques, émouvants par leur fragilité et leur volonté.
Au programme deux spectacles, produits par Aterballetto, une compagnie du nord de l’Italie, dans une seule et même soirée. Le premier, Un jour nouveau, est chorégraphié par Rachid Ouramdane, à la tête du Théâtre de Chaillot depuis presque deux ans. Le second, Birthday Party, est le fruit du travail d’Angelin Preljocaj, chorégraphe de renom entré au répertoire du Ballet de l'Opéra national de Paris.
Ces corps qui ont subi les affres du temps sont loin d’être rouillés. Dans ces deux spectacles, on réalise que ces danseurs sur scène, c’est nous. C’est nous dans dix ans, dans cinq ans, c’est peut-être déjà nous. Ce sont nos grands-parents, une tante, un ancien professeur. On s’identifie à ces danseurs qui se câlinent doucement. Une puissante énergie nous tire presque des larmes.
Dernière danse
Pendant quinze minutes, Darryl Woods et Herma Vos, dansent comme si c’était la dernière fois. Sur la scène dépouillée, ils sont seuls dans leurs tenues de cha-cha. Rythmés par la musique du même genre, les mouvements sont plus lents, moins toniques que des danseurs de compétition qui seraient bien plus agressifs. Cette nouvelle manière d’aborder le cha-cha est étonnement rafraichissante : les danseurs ne cherchent pas la performance physique, mais prennent du plaisir et s’amusent. Ils sentent et décomposent chaque mouvement avec un grand sourire communicatif.
Les gestes ralentissent de plus en plus comme si le temps ralentissait. Il les rattrape. Darryl Woods a dansé au Harlem Ballet, Herma Vos a fait le Lido et tous les grands cabarets parisiens, photographiée par les plus grands avec Sylvester Stallone ou Alain Delon, joué dans plusieurs films…
Le regard droit devant eux comme s’ils fixaient un jury, Darryl et Herma semblent vouloir revivre leurs heures de gloire : "Je trouvais que c’était beau de partager cette histoire, de tordre le cou à la norme du corps parfait", explique Rachid Ouramdane dans un entretien réalisé pour le Théâtre de Chaillot. Ces danseurs ont du mal à s’arrêter de danser, comme si leur corps bougeait contre leur volonté. "Le vieillissement n’est pas forcément synonyme de renonciation ou d’amoindrissement physique", soutient Rachid Ouramdane.
Performance magistrale
La deuxième partie du spectacle chorégraphiée par Angelin Preljocaj est magistrale. Huit danseurs entre 69 et 81 ans, nous font face comme des combattants, avançant au ralenti sous une musique épique. L’une tient une épée fictive qu’elle est prête à abattre sur son adversaire tout aussi fictif, un autre donne des coups de poing, un autre en reçoit. Combat pour rester en vie, combat contre son propre corps, ces hommes et ces femmes ne sont pas prêts à renoncer à la vie.
Dans le groupe on trouve des non-danseurs, des danseurs amateurs et des professionnels. Tout le monde est mélangé et impossible de déceler qui est professionnel et qui ne l’est pas. L’inclusion de non-professionnels a été l’occasion pour Angelin Preljocaj de découvrir des "petites pépites, des personnalités, des corps", même si on remarque Bruce Taylor, danseur professeur international et formateur à l'Opéra de Paris et Elli Medeiros, chanteuse et actrice à la carrière brillante. "Ils ont des personnalités très attachantes, mais ça ne suffit pas, car mon exigence de la danse reste très aiguisée", confie Angelin Preljocaj.
"Simone de Beauvoir, qu’est-ce que c'est que vieillir, exactement ?", demande une journaliste à la philosophe. "C’est beaucoup de choses à la fois, c’est pour ça que j’ai écrit un livre de 600 pages pour essayer de l’expliquer", répond-elle. On entend sa voix résonner pendant que les danseurs répètent les mêmes mouvements en synchronisation. La chorégraphie est millimétrée, comme un hakka de rugbymen.
Corps léger
Les moments les plus marquants et les plus émouvants sont les duos. Les couples s’enlacent et se laissent tomber dans les bras l'un de l’autre. Leur magnifique complicité rappelle un couple de grands-parents qui comptent l’un sur l’autre. Ils gardent l’équilibre en se tenant comme s’ils s'agrippaient à une vieille branche. Puis ils déploient leurs bras, semblables à des fleurs en pleine éclosion et se referment.
Les danseurs finissent par se déshabiller et s’allongent sur le sol en sous-vêtements couleur chair. Dans une scène spectaculaire, ils se rassemblent comme une énorme masse humaine de chair et d’os qui bouge de manière tentaculaire en agitant les bras. "Un corps âgé n’a pas la même résonance. Ce n’est pas qu’une question de puissance mais presque de matérialité du corps, de ce qu’il a traversé et qui finit par s’inscrire au plus profond des chairs", détaille Angelin Preljocaj. Un hommage poignant au corps âgé.
"Over Dance" ("Un jour nouveau" (15 min) par Rachid Ouramdane et "Birthday Party" (40 min) par Angelin Preljocaj) à découvrir au Théâtre national de la danse de Chaillot, jusqu'au 23 février et à Aix-en-Provence du 2 au 4 mars au Pavillon Noir, à Bologne le 12 mars à l'Arena del Sole, à Bologne à la Reggio Emilia le 4 novembre et à Milan le 5 et 6 décembre.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.