Avignon 2018 : Rocio Molina, bouleversante, danse sa maternité
La cour du Lycée Saint-Joseph au cœur d’Avignon est recouverte de sable, au centre d’un grand carré minéral, un bassin-miroir en pierre. Rocio s’assoit sur une chaise, se cambre, corps accueillant, elle explore l’espace avec ses bras et ses jambes, comme pourrait le faire l’enfant qu’elle porte dans son ventre. Ce soir de première le mistral s’invite, ajoutant aux jeux des étoffes, comme si le bébé vibrait lui-même au rythme de la mère.
Et puis soudain son pied claque, tranchant, la danseuse de flamenco, l’une des plus douées de sa génération, risque le pari d’être mère en dansant, refuse de choisir : le flamenco c’est sa respiration. Et dès les premiers instants, nous ressentons une pure décharge d’émotions devant la beauté de sa présence.
Fille et mère
Sa mère entre en scène. Mère et fille dansent, d’abord séparément, accompagnées par la chanteuse Silvia Pérez Cruz et quatre musiciens. Puis dans un pas de deux éblouissant de délicatesse, la fille guide la mère, jolie petite femme moins plantureuse mais aussi juvénile que sa fille. Il se dégage de ces deux femmes, un amour et une attention qui touchent au cœur.Bouleversement
L’enfant que porte Rocia est le fruit d’une fécondation in vitro. Elle ne cache pas son homosexualité, mais, séparée désormais de sa compagne, elle mène seule l’aventure de sa grossesse. Un bouleversement pour cette force de la nature habituée à faire plier son corps, à le soumettre aux plus folles exigences de sa danse tellurique.Quand elle offre à sa mère une taranto, danse traditionnelle, c’est autant la tendresse que la puissance qui s’en dégage. Sa mère qui lui a transmis l’amour de la danse. Mais il est aussi question d’absences, de reproches, d’invectives entre les deux femmes, qui s’autorisent aujourd’hui à célébrer leur amour.
En miroir
Il faut voir Rocio enveloppée dans un long châle, cheveux lâchés, découvrir son corps puissant et sensuel, entamer une sorte de rituel avec ses bras bien cambrés, les pieds enfoncés dans le sol dans une sorte d’extase.Cette exploration de la maternité, elle va la poursuivre en miroir avec la chanteuse Silvia Pérez Cruz, elle-même déjà mère : les voici qui roulent sur le sol, enlacées dans une embrassade délicate ; c’est l’amour universel qu’elles veulent incarner.
La maternité à nu
A la fin, la maternité se met à nu, le bassin miroir devient le lieu d’une mise au monde. "Grito Pelao", titre du spectacle, veut dire cri en espagnol. Le cri vital du nouveau-né sans doute, parmi cette longue chaîne de mères dans laquelle s’inscrit maintenant RocioRocio Molina, Lola Cruz, Silvia Pérez Cruz et le dramaturge Carlos Marquerie nous font don d’un spectacle d’une folle complicité, d’une folle générosité (raccourci d’une demi-heure ce serait un bijou).
Après une tournée de quelques dates cet été, la dernière de "Grito Pelao" aura lieu au théâtre de Chaillot à Paris cet automne, ou Rocio est artiste associée. Elle sera alors enceinte de 7 mois, sa danse aura encore changé, on y sera…
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