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Pour les 400 ans de Molière, un "Tartuffe" noir et sulfureux secoue la Comédie-Française

C’est une affiche exceptionnelle que propose la Comédie-Française pour le 400e anniversaire de Molière : une version originelle et inédite de "Tartuffe". La mise en scène, marquante, est signée du Belge Ivo van Hove, avec Christophe Montenez dans le rôle-titre, merveilleusement entouré.

Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Marina Hands (Elmire) et Christophe Montenez (Tartuffe) (Jan Versweyveld)

Georges Forestier, grand spécialiste de Molière, a restitué comme un archéologue la première version de Tartuffe en 3 actes et non en 5, qui fut censurée dès le lendemain de sa création car trop satirique à l'égard des dévots et de la religion. C’est de cette version, Le Tartuffe ou l'hypocrite, qu’Ivo van Hove s’empare avec volupté et violence : exit les scènes entre les amoureux Valère et Marianne, exit l’épilogue en forme de coup de théâtre invraisemblable et de courbette à Louis XIV pour obtenir l’autorisation de jouer la pièce. La relation entre Tartuffe (Christophe Montenez) et Elmire (Marina Hands) devient le centre de l’intrigue et ouvre, selon Ivo van Hove, sur tous les possibles.

Dans un décor presque nu ouvert sur toute la machinerie du plateau, Orgon et sa suivante Dorine extraient d’un amas de hardes un clochard qu’ils vont déshabiller, laver, et vêtir d’un élégant costume. Ce mendiant n’est autre que Tartuffe, on ne sait comment il est arrivé là mais il va faire partie de la famille, et en amplifier les dysfonctionnements jusqu'à l'implosion. 

Un combat 

Comme pour se préparer au combat qui va suivre, les comédiens se saluent, encadrant un grand carré blanc symbolisant un tatami. Au centre, Madame Pernelle, mère d’Orgon, emplit l’espace de sa terrible diatribe contre sa bru et sa famille, accusées d'être trop frivoles. Une inquiétante Claude Mathieu incarne cette vieille femme habitée par les préceptes dévots de Tartuffe, vigie sans états d’âme de l’ordre en place et d’une sorte de dictature religieuse. Elle forme avec Orgon le clan des conservateurs contre les progressistes.

Orgon, un homme qui voit ses valeurs disparaître (une femme qui s'éloigne, un fils qui va se marier), trouve en Tartuffe une sorte de compagnon, d'ami dans toute son ambiguité, les deux étant réunis par cette dévotion excessive. Orgon est incarné par un Denis Podalydès hagard et étonnant dans la soumission à Tartuffe. 

Orgon (Denis Podalydès) et Elmire (Marina Hands) en scène de ménage devant Dorine (Dominique Blanc), Damis (Julien Frison, et Cléante (Loïc Corbery)  (Jan Versweyveld)
Car Tartuffe, dans la version d'Ivo van Hove, est un homme jeune et séduisant,  
son entrée dans un halo de feu sur la galerie qui surplombe la scène est spectaculaire. Orgon est évidemment aussitôt fasciné par ce personnage, entre mage et gourou, qu'il voudrait prendre comme directeur de conscience mais ici Tartuffe regarde tout de suite ailleurs en s’éprenant d’Elmire, la femme d'Orgon, faisant sonner le fameux vers : "Pour être dévot je n’en suis pas moins homme" (subtil et dérangeant, Christophe Montenez). 

Percutant 

Cette version ramassée, plus percutante que celle passée à la postérité, accompagnée de façon soutenue d’une musique crépusculaire d’Alexandre Desplat, fait apparaître la face la plus sombre de cette famille désunie où chacun vit de son côté.

Dans cette version, Marina Hands, sensuelle et troublante Elmire, ne semble en tout cas pas insensible au charme de Tartuffe. Loïc Corbery donne une vraie épaisseur à Cléante, le beau-frère d’Orgon, impressionnant de noblesse et de conviction dans sa charge contre les dévots en l’allégeant de tout didactisme. Julien Frison est un puissant et jusqu’au-boutiste Damis qui veut vraiment la peau de Tartuffe. Quant à Dominique Blanc, elle incarne une Dorine lucide et bravache.

La bagarre entre Damis (Julien Frison à terre) et Tartuffe, (Christophe Montenez) retenu par Orgon (Denis Podalydès)  (Jan Versweyveld)
Van Hove suit ses intuitions de façon parfois radicale. Ainsi Orgon plonge dans une fureur meurtrière face à l’aveuglement de sa mère, lui qui vient de démasquer Tartuffe. Quant au dénouement du 3e acte, il laisse supposer que Tartuffe a provoqué une sorte de libération de la famille, un coming out général. Pour audacieuse que soit cette vision, elle nous convainc !  
Affiche de "Tartuffe" avec Marina Hands et Christophe Montenez (Jan Versweyveld)
"Le Tartuffe ou l'hypocrite" de Molière
Mise en scène de Ivo van Hove
Comédie-Française
1 Place Colette, Paris 1er
Du 15 janvier au 24 avril 2022

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