"Pharaon des deux terres" au Louvre : découvrez les secrets qui se cachent derrière six pièces de l'exposition
Le Louvre ouvre ce jeudi une exposition qui met en lumière une période méconnue de l'Égypte antique : la dynastie des rois de Napata. Nous l'avons découverte en avant-première, en compagnie du commissaire d’exposition Vincent Rondot, qui nous dévoile l'histoire qui se cache derrière ces oeuvres.
Quand on pense aux pharaons de l'Égypte antique, on a souvent les mêmes noms en tête. Kheops, Akhenaton,Toutankhamon ou encore Ramsès II. Mais avez-vous déjà entendu parlé de Piânkhy, Chabataka, Chabaka, Taharqa ou encore de Tanouétamani ? Originaires du royaume de Kouch longtemps dominé par l’Égypte, ces souverains nubiens n’étaient pas prédestinés à allonger de leur nom la liste des pharaons d’Égypte. Mais le cours de leur destin va changer au VIIIe siècle avant J-C.
À cette période, le royaume d’Égypte est divisé et tombe dans l’instabilité. La Nubie est devenue indépendante et le royaume de Kouch s’y établit. Alors que la situation en Égypte ne fait que s’aggraver, le roi de Kouch, Piânkhy profite de ce moment de fragilité pour conquérir toute la vallée du Nil. Ses successeurs héritent de cette conquête et réunifient l’Égypte et le pays de Kouch. Ils fondent la 25e dynastie et occupent le trône d’Égypte jusqu’en 655 avant J-C, date de prise de pouvoir par les Assyriens.
À l’occasion du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion, le Louvre raconte l’histoire méconnue de ces pharaons à travers l'exposition Pharaon des deux terres : l'épopée africaine des rois de Napata, présentée au Louvre du 28 avril au 25 juillet 2022. Comme à son habitude, le prestigieux musée parisien offre l’occasion aux visiteurs de découvrir des pièces somptueuses comme on peut rarement en voir : statuettes en bronze et or, stèles, statues monumentales et bijoux. Objets qui sont pour certains récemment sortis de fouille.
Nous avons pu en admirer certains en avant-première aux côtés du commissaire d’exposition Vincent Rondot, directeur du département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre. Il nous en dévoile les secrets.
La triade d'Osorkon
Sous la vitrine qui la protège, la triade d'Osorkon attire forcément l'attention des visiteurs. Discrète - elle ne mesure que 9 centimètres de haut -, elle s'impose par sa beauté. Créé entre -874 et -850, ce bijou appartient aux collections du musée du Louvre depuis 1872. Habituellement placée dans l'aile Sully du musée, la triade d'Osarkon a été exceptionnellement déplacée vers l'une des salles de l'exposition du Pharaon des deux terres. "On l'a fait figurer ici pour la beauté de l'objet, mais aussi parce que c'est sous le règne d'Osorkon II qu’on entend pour la première fois parler de la menace des Assyriens”, explique Vincent Rondot.
"C'est l’un des chefs-d'œuvre du musée du Louvre. C'est ce qu'on l'appelle la triade d'Osorkon parce qu’on y voit trois dieux. Au centre Osiris, accroupi sur un piédestal et à droite la déesse Isis. On dit souvent son épouse mais ce n'est pas exactement ça. Ils représentent tous les deux des principes divins. Et à gauche, Horus à tête de faucon et avec la couronne de Haute et Basse-Égypte. Horus est aussi un principe divin et sans doute leur fils. Mais c'est surtout et avant tout l'héritier du trône. C'est ça qui est important. De plus, dans la cosmogonie égyptienne, Horus, est aussi le premier pharaon, suivi des pharaons humains."
"Cette triade osirienne est une triade fondamentale du panthéon égyptien. Elle a été fabriquée sous le règne d'Osorkon II. C'est un bijou extraordinaire avec de l'or et du lapis lazuli. Il manque les perruques d'Isis et d'Horus qui étaient probablement soit en lapis lazuli, soit en verre car à l’époque ils mélangeaient les pierres fines et le verre, ça ne les dérangeait pas", rappelle le spécialiste.
Six statues de Doukki Gel
Placées en fin d'exposition, ces statues (qui sont en réalité des reproductions des originales qui se trouvent au Soudan) représentent les rois de Napata. Détruites à l'époque par Psammétique II, elles ont été retrouvées dans une fosse en 2003, nous explique le directeur du département des Antiquités égyptiennes du Louvre.
"Après leur destruction par les armées de Psammétique II, elles avaient été pieusement ré-inhumées entre deux temples du dieu Amon, de façon à continuer leur vie magique grâce aux hiéroglyphes qui les couvrent, protégées sous une couche de terre avec les restes des feuilles d'or qui les décoraient", détaille Vincent Rondot..
"J'aurais voulu faire venir ces statues à Paris, mais il a vite fallu que j’abandonne parce que ça aurait coûté trop cher et j'aurais fait courir des risques aux statues. Je me suis dit qu’il était plus malin de profiter des captations 3D de ces statues pour les restaurer numériquement, et les imprimer une fois restaurées. Ensuite, on les a peintes en fac-similés de pierre et on les a fait dorer par une doreuse telle qu'on peut penser qu'elles étaient lorsqu'elles sont sorties des ateliers des kouchit eux-mêmes", poursuit-il.
Le roi Taharqa et le faucon Hémen
Pièce phare du musée du Louvre, Le roi Taharqa et le faucon Hémen a été choisie pour l'affiche de l'exposition. Acheté par le Louvre en 1952, cet objet précieux continue de renfermer certains mystères.
"On a voulu l’exposer, déjà, parce qu'elle appartient aux collections du musée du Louvre et parce qu'elle est très originale. C'est un ensemble extraordinaire, complet, du socle de la statue du roi et de la statue du dieu à qui le roi fait offrande. Et c'est assez rare de trouver ce genre d'ensemble aujourd'hui. On peut voir le roi Taharqa à genoux qui offre deux vases appelés "nou" et qui sont réservés aux offrandes de vin. Taharqa a les bras tendus vers ce dieu faucon appelé Hémen, qui est un petit dieu sur lequel on a peu d’informations", raconte Vincent Rondot.
"Le socle d'argent nous montre qu'ils appartiennent l'un à l'autre. Et c'est un document à la fois très beau, très intéressant, qui mêle trois métaux : l'argent, le bronze et l’or. C'est un objet magnifique et énigmatique, car nous n’avons pas fini de l’étudier, nous essayons d’en savoir plus dans les prochains jours, à l’occasion de l’exposition". Alors patientons encore avant de connaître les nouvelles révélations du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France en charge de l'étude.
La statue du bélier d'Amon protégeant Aménophis III
C'est 1844 dans la cour du grand temple à Amon que l'égyptologue Richard Lepsius mit au jour cet imposant bélier de granit. Prêté exceptionnellement par le Musée égyptien de Berlin, la statue accueille les visiteurs devant une photo du Temple de Soleb où elle était initialement installée.
"Cette statue de bélier a été sculptée en 1400 avant Jésus-Christ sous le grand pharaon Aménophis III, le grand père de Toutankhamon, pour le temple à Amon qu'il a fait construire à Soleb. Elle représente le bélier du dieu Amon qui protège le roi, le pharaon Aménophis III. Ce qu’il y a de très intéressant, c'est que Piânkhy, le roi nubien qui a conquis l'Egypte, a fait transporter dix de ces statues depuis le temple de Soleb jusqu'au temple du Djebel Barkal, au pied duquel se trouve sa capitale Napata. Statues qui ont déjà plus de 700 ans et qui pèsent quatre tonnes. Il les fait ramener non pas pour décorer, mais pour habiter théologiquement et religieusement les bâtiments qu’il construit", raconte à Franceinfo le commissaire d'exposition.
Etui de Chépénoupet
Peut-être l'une des plus belles et énigmatiques oeuvres présentées lors de cette exposition. Acheté par le Louvre en 1899, cet étui renferme encore de nombreux mystères.
"Une oeuvre très énigmatique, confirme Vincent Rondot. C’est l’étui de Chépénoupet, fille du roi Piânkhy, qui renferme une plaque en ivoire d'éléphant. Information importante puisqu’à l’époque on utilisait surtout de l'ivoire d'hippopotame. On sait qu'elle est peinte de hiéroglyphes, mais on ne peut pas les lire parce qu'on n'arrive pas à sortir la plaque sans la détruire. Et les nouvelles technologies ne permettent pas de passer à travers le métal, un matériau très difficile à franchir.
En tout cas, cet objet est tout à fait extraordinaire, avec un côté incrusté d'argent et l’autre d'or. On peut penser à une symbolique soleil et lune. Ce ne sont encore que des hypothèses et il faut les confirmer. C'est un objet qui va encore demander beaucoup, beaucoup d'études", confie Vincent Rondot.
Sphinx à l'effigie de Taharqa
Ce petit sphinx en granit gris à l'effigie du roi Taharqa est un exemple typique du style archaïque dont sont férus les rois de Kouch.
"C'est un sphinx qui représente le roi Taharqa avec le corps et les pattes de lion et une tête humaine. Cette pièce nous est prêtée par le British Museum et elle est passionnante parce qu'on sait d'où elle vient. Ce sphinx a été trouvé au Djebel Barkal. Il y a le nom de Taharqa qui est écrit sur le poitrail. Et puis ce qui intrigue beaucoup de les archéologues, c'est cette coiffe kouchit avec ces deux cobras. On a du mal à savoir si c'est la royauté, la Basse-Égypte, si c'est le royaume de Kouch et l'Égypte aussi, ou si c'est encore autre chose. Ce n'est pas facile d'avoir le fin mot là-dessus", analyse avec passion l'égyptologue.
"Ce qui est intéressant, c'est que cette façon de faire avait lieu au Moyen Empire, c'est-à-dire vers 1900-1700 avant Jésus-Christ. Donc plus de 1 000 ans avant Taharqa. C'est un moyen de montrer aux visiteurs comment les rois de Kouch étaient intéressés par l'archaïsme. Ils souhaitent respecter les anciennes façons de faire parce que d’après eux, elles sont théologiquement plus intéressantes. Ils estiment que l'Antiquité est une preuve de qualité", ajoute ce dernier.
"Pharaon des deux terres. L'épopée africaine des rois de Napata", jusqu'au 25 juillet 2022 - Entrée Est - Musée du Louvre Pyramide - Cour Napoléon 75001 Paris - De 9h à 18h les lundis, mercredis, jeudis, samedis et dimanches. Jusqu'à 21h45 le vendredi. Fermé le mardi - Entrée : - de 26 ans : gratuit - Tarif sur place : 15€ - Billet en ligne : 17€.
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